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litique, en ce sens qu’elle déplaçait les bases de la souveraineté. Antérieurement, la vraie force de la royauté avait résidé dans le droit de posséder, de diriger ou de limiter toute l’activité humaine. Grâce à Turgot, on fit le premier pas dans la voie qui devait aboutir au droit des gens que la conscience humaine pressent aujourd’hui. Il eût été impossible de fabriquer le matériel requis pour l’application des découvertes scientifiques à l’industrie, si l’on était resté sous le joug de ces corporations qui se contestaient mutuellement le droit de produire des objets nouveaux. La liberté industrielle a émancipé le génie inventif. La démocratie compte encore beaucoup de Spartiates à qui les progrès de l’ordre matériel sont suspects; ils n’y voient que le débordement d’un luxe corrupteur, l’écume à la surface. Constatons au contraire que la nouvelle économie sociale, tout en se désintéressant en apparence des affaires d’état, exerce une action essentiellement politique. Tout en elle concourt à l’écroulement du vieux monde, tout prépare la fusion sympathique des peuples : le prodigieux accroissement de la production, qui nécessite les échanges lointains; la liberté de ces échanges, qui effacera la fiction des frontières; les facilités du transit et l’égalité des pavillons, qui mettront les moyens de transport de chaque pays à la disposition des autres; la locomotion des individus et le charriage des marchandises, dix fois moins coûteux qu’il y a cent ans ; la transmission à bon marché des lettres écrites assurée pour le monde entier; l’échange instantané des idées par le télégraphe; l’uniformité presque réalisée aujourd’hui des poids et mesures; les expositions universelles occasionnant les réunions internationales de fabricans et d’ouvriers; les congrès littéraires et scientifiques, les voyages collectifs à prix réduits, la vulgarisation de tous les incidens par la presse, le retentissement de toutes les idées! La plus vieille de ces nouveautés n’a pas quatre-vingts ans, et nous ne sommes pas au terme des réformes.

Le fait émancipateur par excellence résulte de la manière dont s’opère aujourd’hui la capitalisation. L’existence humaine se divise naturellement en trois âges : l’éducation, le travail, le repos dans la retraite; la seconde période, celle du travail et de l’épargne, doit capitaliser pour alimenter les deux autres. Les procédés de placemens ont une grande influence sur la vie sociale. Autrefois les rentes d’état et autres titres négociables étaient peu nombreux; le public s’en défiait. Presque tous les placemens s’opéraient par prêts hypothécaires ou sous forme de commandite directe dans la profession qu’on avait exercée; cela suffisait à des sociétés pauvres. Les prélèvemens qu’on peut faire aujourd’hui sur les profits et les salaires donnent lieu à une capitalisation énorme. Les