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maître; celui-ci, qui fait profession de droit divin, parle le langage des nationalités aux Tchèques de la Bohême, aux Polonais de la Galicie, aux Magyars de la Hongrie. L’empereur d’Autriche, qui a été pour son malheur la plus complète incarnation de l’absolutisme, se trouve le défenseur du principe révolutionnaire; c’est lui qui a réclamé pour les peuples allemands le droit de n’obéir qu’à des gouvernemens de leur choix. On a fait un grief à l’Autriche de n’avoir été qu’une agrégation de nationalités asservies, et ces races, à qui il serait si facile de s’affranchir, prodiguent leur sang pour le salut du vieil empire. Le peuple italien réclame Venise au nom de son droit révolutionnaire, et il se lie avec le roi de Prusse par une alliance comme celles des monarques; il signe un de ces contrats où l’on compte seulement les baïonnettes, abstraction faite des principes. Ainsi l’Italie, pour constituer son existence nationale, prête la main à l’étouffement d’un droit analogue réclamé par une grande partie de la famille germanique, et pour nationaliser Venise elle s’expose à créer une ou plusieurs Vénéties vers les rives du Rhin.

Ce qu’une pareille confusion prépare pour l’avenir, il serait téméraire de le prévoir. Dégageons les résultats immédiats; il y en a deux, si probables jusqu’à présent qu’on peut en parler comme de faits accomplis : la libération de la Vénétie et l’unification de l’Allemagne sous la haute main de la Prusse. La satisfaction enfin donnée à l’Italie est généralement acceptée comme un fait heureux. Quant à l’unité germanique, c’est le renversement de l’échafaudage sur lequel oscillait l’ancienne balance politique. On ne connaît pas encore l’ultimatum de la victoire. Ministre d’un monarque qui professe le respect des têtes couronnées, devant compter avec les préjugés de la diplomatie, M. de Bismark, s’il n’est pas entraîné par l’opinion surexcitée en son pays, exposera ses prétentions en termes modestes. Exclusion de l’Autriche de la famille germanique, fédération nouvelle conservant les souverainetés qui sont restées debout, assimilation des intérêts commerciaux au moyen du Zollverein, commandement militaire et direction diplomatique déférés à la couronne prussienne, voilà le programme le plus modéré de Berlin. Une autre combinaison proposée par la France admettrait deux confédérations, l’une pour le nord, l’autre au sud : cela semble difficile à réaliser.

Ne nous y laissons pas tromper; de quelque manière qu’on s’y prenne, l’unification de l’Allemagne se fera, si elle n’est pas déjà faite. Le roi de Prusse, ayant la direction suprême de la guerre, de la diplomatie et du commerce, sera bien plus le maître du monde germanique que ne l’ont jamais été les empereurs d’autrefois. Les