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C’était un très vieux chêne, tordu, noueux, accroché aux flancs d’un coteau et dominant de sa masse imposante un ravin profond. Un éboulement avait mis à nu deux ou trois grosses racines qui, manquant de vivres, s’étaient desséchées; la mort avait insensiblement gagné le tronc, dont toute la partie centrale, blanchie et rongée par les larves, se dressait, surplombant l’abîme, au-dessus duquel elle étendait ses racines blanches et mortes comme elle. Cependant l’arbre vivait toujours : l’écorce tenace, communiquant avec quelques racines encore vivantes, nourrissait les branches de la tête et entourait à demi comme d’un manteau cet arbre dont l’enveloppe n’avait pas voulu mourir. Le tronc central, dépassant l’écorce de près d’un mètre, paraissait en être enveloppé comme d’un corps complètement étranger. Ils étaient donc là tous deux, le vivant appuyé sur le mort, le mort lui-même planant sur le précipice, groupe étrange en même temps que singulier exemple de l’indépendance presque absolue des organes et des centres vitaux. Cette indépendance des organes occasionne souvent un phénomène qui au premier abord paraît être en contradiction avec une semblable origine, c’est celui de la soudure. Deux végétaux dont les troncs ou les branches sont rapprochés et maintenus en contact d’une façon permanente se soudent fibre à fibre et utricule à utricule, et cela précisément parce que ces organes vivent chacun d’une vie indépendante. Par cela même qu’un arbre n’est que l’agrégation presque artificielle d’organes divers et de plantes superposées, il est aisé de comprendre que ces agrégations puissent tout naturellement s’effectuer en dehors du cercle fort élastique, on le sait, de l’individualité végétale. De là ces associations dont le célèbre châtaignier de l’Etna aurait été, selon certains botanistes, l’un des exemples les plus extraordinaires[1]. C’est ainsi que s’affirme, dans le règne végétal, l’une des plus nouvelles et des plus grandes lois peut-être de la physiologie générale, c’est-à-dire la localisation de la vie, localisation qui se formule par l’existence autonome de la cellule, non-seulement chez les végétaux, mais encore dans les divers organismes du règne supérieur.

Il nous paraît inutile d’insister sur l’importance de cette loi dans son application spéciale au règne végétal. On comprend quel intérêt scientifique s’attache à la puissance créatrice de cette cellule qui, vivant d’une vie indépendante malgré son exiguïté microscopique, accomplit au sein des tissus végétaux les mêmes phénomènes merveilleux qu’elle réalise dans les tissus animaux. Depuis

  1. Cet arbre gigantesque (dont il ne reste plus aujourd’hui que d’informes débris) n’aurait été, d’après le récit de certains voyageurs, que l’agglomération de cinq énormes châtaigniers associés et soudés ensemble d’une telle façon que d’autres botanistes ont pu croire et affirmer que les cinq troncs n’en constituaient réellement qu’un seul.