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tenir compte non-seulement de son talent, de ce don de vérité et de vie qui plaide pour son livre, mais de tout ce qu’il pourrait alléguer pour diminuer sa part de responsabilité. S’il fallait dresser un acte d’accusation contre des œuvres telles que l’Affaire Clemenceau, combien de circonstances atténuantes! Sur qui ne retomberait pas le réquisitoire, et que de coupables auraient à se dénoncer! Puisqu’il s’agit d’une nouvelle variété de la femme adultère, ne serait-ce pas le cas de redire le mot de l’Évangile : « Que celui qui n’a pas péché jette la première pierre! » — Après les éclatans succès de la Dame aux Camélias et du Demi-monde, un critique ingénieux conseillait à M. Dumas d’appliquer son talent d’observateur et ses facultés de mise en scène à des mœurs plus relevées, à une société plus pure. Nous ne savons s’il a tenu grand compte de ce conseil; à quoi bon? Le peintre n’avait pas à changer de place, puisque la société qu’on l’engageait à observer et à peindre ne cessait de se rapprocher de lui. Les différences qui existaient encore entre la bonne compagnie et la mauvaise s’effacent de plus en plus; la prépondérance toujours croissante des mœurs équivoques et des femmes tarées a piqué au jeu celles qui auraient eu le plus d’intérêt à lutter contre cette invasion étrangère : elles ont trouvé plus commode d’en affecter les manières, les modes, le jargon, les allures, et d’essayer de ressembler à ce qui menaçait de les détrôner. Une fois sur cette pente, la littérature n’avait qu’à suivre l’impulsion; elle l’a suivie, et nous avons vu le roman et le théâtre servir de trait d’union aux deux puissances, publier les procès-verbaux de cette étrange fusion entre le mal et le bien. Ce pacte bizarre devait nécessairement tourner au profit de la réalité, aux dépens de l’idéal, car ce n’est pas la société polie qui, en abdiquant, fait ses conditions à sa rivale; c’est celle-ci qui s’infiltre peu à peu dans les couches supérieures, comme ces vapeurs délétères qui montent des bas-fonds vers les hauteurs. Aussi bien tout a favorisé cette influence : l’avènement d’une certaine démocratie, le progrès des sciences exactes, les emprunts que leur a faits l’analyse. La littérature a dû se faire expérimentale comme la critique, et il y a du vrai dans ce mot que nous avons recueilli à propos de l’Affaire Clemenceau, que « le roman de M. Dumas est bien le contemporain de M. Taine, comme Stello et Valentine étaient les contemporains de Jouffroy. » — Que dire de ceux qui, dans le monde et dans les lettres, représentent, l’extrême droite? Suffit-il de fermer sa porte à l’épidémie pour réussir à en arrêter les ravages, de se tenir éloigné du péril pour le rendre moins imminent? Est-ce par une neutralité plaintive que l’on combat un ennemi? Est-ce parle dédain que l’on guérit une maladie morale? Vivre avec les morts, est-ce garder son autorité et son action sur les vivants? S’enfermer avec le passé, est-ce corriger ou avertir le présent?

Mais, dira-t-on, pourquoi tout ce pessimisme? Ne cédons-nous pas, nous aussi, à des préoccupations trop exclusives? Ignorons-nous, n’avons--