Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 64.djvu/764

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

peut-être nous eût conduit à la frontière rhénane. Cette politique si naturellement française ne fut point suivie. On prit avec des airs profonds le parti de laisser faire. Les Austro-Prussiens écrasèrent le Danemark. Lord Russell se consola dans la chambre des lords en accusant positivement de mensonge le ministre prussien; quant à la politique française, elle parut se laisser enguirlander par les coquetteries publiques de M. de Bismark : les Biarritz de M. de Bismark copièrent le Plombières de M. de Cavour. Autriche et Prusse se chamaillent à propos des duchés, puis se calment un moment avec le replâtrage de Gastein. Un instant alors tout est pacifique. On parle de désarmement; nous faisons notre petite réduction des cadres; l’Italie ne songe qu’à établir son équilibre financier; au commencement de cette année, le général La Marmora prépare sur le budget de la guerre des économies dont la réalisation lui eût fait plus d’honneur que la bataille de Custozza... Mais février arrive; M. de Bismark se démasque enfin; il propose à l’Autriche des arrangemens touchant les duchés qui ne sont point accueillis à Vienne, C’est alors que le général La Marmora fut dissuadé de poursuivre son plan de réduction de l’armée italienne. Alors se présenta l’idée d’une alliance de la Prusse et de l’Italie et de la guerre, à deux contre l’Autriche. Voilà le point intéressant de l’action qui demeure obscur pour nous, et dont les mémoires et les correspondances du temps porteront la connaissance à l’avenir : nous connaissons bien aujourd’hui les mémoires et la correspondance de la diplomatie secrète de Louis XV ! Il est impossible que l’alliance de la Prusse et de l’Italie ait été conclue sans que le cabinet des Tuileries ait été consulté, sollicité ou averti par les cabinets de Berlin et de Turin. Des voyages et des séjours aux lieux où se prenaient les résolutions décisives ont été accomplis devant le public. Là est pour nous le mystère; de là viendront pour l’avenir les révélations curieuses. Ne sera-t-il pas intéressant en effet d’apprendre un jour l’ordre d’idées, les considérations, les vues qui ont déterminé la France à consentir à l’alliance de l’Italie avec la Prusse, de découvrir quelles perspectives la politique française avait mesurées, quelle limite elle entendait poser à l’œuvre belliqueuse et aux conséquences de l’alliance, quels avantages directs ou indirects elle en espérait pour notre pays lui-même? Il sera donné à l’avenir de démêler ces ressorts cachés et ces bricoles embrouillées. Tout au contraire y est pour nous trouble et incertain, car, au point où nous en sommes du spectacle de cette pêche savante et préparée de si loin, il ne nous est donné encore d’apercevoir au fond de nos filets que l’agrandissement de la Prusse et l’ingratitude de l’Italie.

En tout cas, la guerre qui finit a eu des révélations foudroyantes qui suffisent à l’instruction et aux préoccupations du présent. A nos yeux, le premier enseignement qui ressort de cette guerre, c’est que la constitution qui va être donnée à l’Allemagne sous la domination de la Prusse sera le produit d’un acte de violence, et n’est point le développement naturel et