Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 64.djvu/786

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les rues de Paris. Il y a dans les mémoires de Mlle de Montpensier une page qui coûte à lire : « Pendant le combat de la porte Saint-Antoine, en juillet 1652, le prince de Condé entre tout à coup chez la grande Mademoiselle, dans une maison voisine de la Bastille : il a deux doigts de poussière sur le visage, ses cheveux sont en désordre ; ses vêtemens, ses mains et son épée, dont il a perdu le fourreau, sont couverts de sang ; » ce sang est celui des Français qu’il vient de combattre,… voilà ce que la guerre civile a fait de l’héroïque vainqueur de Rocroi et de Lens. Tant de causes de trouble moral et politique devaient être écartées par le triomphe de l’autorité royale avant qu’on pût utilement entreprendre d’organiser l’administration intérieure.

Combien cette organisation administrative importait aux destinées générales du pays, la première grande affaire que M. P. Clément raconte dans son livre de La police sous Louis XIV le prouve clairement. Il s’agit de Fouquet, sur le procès duquel s’offrent ici de nouvelles lumières. On doit en croire M. Clément, soigneux éditeur des Réflexions sur la miséricorde de Dieu, de la duchesse de La Vallière, et des Lettres de Colbert, quand il affirme que des rivalités amoureuses n’intervenaient pas ici, comme on l’a tant répété. Il était question de bien autre chose. Dans la lutte engagée entre Colbert et Fouquet, il y avait le combat acharné de l’ordre nouveau qui cherchait à naître, contre les dernières et folles prétentions du régime féodal. Veut-on la preuve que c’était bien la féodalité dont se montraient encore ici les persistantes espérances ? Voici un capitaine, voici un président au parlement de Bretagne qui promettent avec serment et par écrit d’obéir au surintendant des finances en tout ce qu’il leur commandera, de lui être entièrement fidèles et d’exécuter ses ordres sans distinction ni réserve. Il ne faut pas s’y tromper, c’étaient là des engagemens tout féodaux, et M. Clément en a cité de pareils dans son curieux volume, récemment réimprimé, de Jacques Cœur et Charles VII; la comparaison des deux livres devient piquante pour la ressemblance de certains traits malgré l’intervalle de tant d’années. On sait qu’au premier soupçon des mesures qu’on allait prendre contre lui, Fouquet prépara la guerre civile ; il songeait à se faire proclamer duc de Bretagne et à résister dans ses forteresses contre le roi de France. Que pouvait être l’administration des finances, confiée à cet ambitieux digne du moyen âge ? Suivant le rapport officiel de Colbert, les peuples payaient 90 millions d’impôts, dont le roi ne touchait pas la moitié, les rentes et les traitemens absorbant l’autre part. Un seul commis du surintendant avait, en moins de deux années, gagné plus de quatre millions provenant de gratifications en argent ou d’autres revenus tout aussi peu légitimes. Ce fut cependant un vrai coup d’état que l’arrestation de Fouquet, tant il y avait d’intérêts secondaires groupés autour de lui, et tant on comprit dans le camp de ses alliés que le grand coup frappé par Colbert inaugurait une ère nouvelle. Quant à l’opinion publique, elle parut hésiter, et ce n’est pas le moins curieux trait de ce procès célèbre que de