Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 64.djvu/799

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
795
LE DERNIER AMOUR.

qu’il n’éprouvait plus. Quant à la honte que je lui infligeais, elle était sans doute déjà bue.

Quelques jours s’écoulèrent dans un calme apparent. J’avais remarqué chez Félicie des phases de douceur et de tranquillité que je m’expliquais mainteiiaut. Elle éprouvait par intervalles le besoin d’oublier Tonino, et presque toujours, après une entrevue orageuse, elle évitait de penser à lui et s’abstenait d’en parler. Sa nature fiévreuse exigeait ces phases de repos. Quand les forces étaient réparées, elle s’agitait de nouveau pour le revoir en secret, ou pour s’occuper ostensiblement de ses affaires et de sa conduite.

Je laissai passer ces quelques jours, et quand elle me dit qu’elle était inquiète des enfans et s’étonnait de n’en pas entendre parler, je lui appris que Tonino était parti.

— Parti ? où donc ?

— Pour très loin et pour ne pas revenir.

Elle tomba sur son siège comme foudroyée.

— Qu’avez-vous donc ? lui dis-je en lui prenant la main.

Je n’oublierai jamais l’expression de ses yeux clairs et profonds, qui me demandaient avec une terreur ingénue :

— L’avez-vous tué, et allez-vous me tuer aussi ?

Et comme mon regard, à moi, ne lui révélait rien d’effrayant, elle eut un sourire égaré, et joignit les mains comme pour rendre grâce à Dieu de ne s’être pas trahie.

Il faut admirer comme les coupables sont parfois stupides, et comme ils croient aisément se jouer des honnêtes gens !

Elle ne comprit rien à mon air tranquille et me demanda en balbutiant l’explication de l’étrange nouvelle que je venais de lui apprendre.

— Ma chère amie, lui dis-je, il fallait en finir avec une situation pénible. Vous m’avez caché, par générosité, vos peines secrètes ; mais je les ai depuis longtemps pénétrées.

Elle se crut encore perdue.

— Ah oui ! s’écria-t-elle en tombant comme prosternée devant moi, vous savez tout, je le vois bien !

— Pourquoi cette attitude de repentir ou de désespoir ? repris-je : de quoi et à qui demandez-vous pardon ?

Elle se releva, effrayée de son trouble, et recommença à me regarder étrangement.

— Vous n’avez, repris-je, aucun tort que je sache dans cette situation, ou, si vous en avez envers Tonino, je ne puis en être juge. J’ai vu que ce jeune homme était très mécontent de son sort malgré tous les sacrifices que vous aviez faits pour le satisfaire. Vous vous êtes plainte amèrement à moi de son ingratitude, et je