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REVUE DES DEUX MONDES.

— S’est-elle plainte de mes reproches, de mes emportemens ?

— Oh ! bien au contraire ! Elle vous rendait pleine et entière justice ! C’est pourquoi je vous répète : Lisez la lettre et gardez-la ; elle contient probablement quelque allusion à une faute dont vous voulez certainement annuler tout vestige.

— Mais si c’est un testament en faveur de Tonino, comme tout me porte à le croire ?

— Eh bien ! qu’importe ? Dans ce cas, vous le remettrez fidèlement et vous saurez ce que vous faites.

L’avis était bon. Quand je fus seul, j’ouvris la lettre, qui était à peine pliée et nullement cachetée. Félicie avait certainement voulu que cet écrit passât sous mes yeux.

lettre de félicie.

« Plus d’espoir, plus du tout… Il ne m’aime plus, il ne m’aimera plus jamais ! Son cœur est mort, nous l’avons tué. Depuis un an, je lutte pour retrouver son affection ou pour éteindre celle que j’ai pour lui ; je m’efforce de le haïr, par momens je le hais. Une femme peut-elle pardonner le plus sanglant des outrages, l’indifférence ? Et pourtant je vais mourir pour qu’il me pardonne, à moi ! Morte, il me plaindra peut-être, il aura peut-être quelque regret, quelque pitié, il se souviendra de m’avoir aimée, il oubliera mon crime ; il me gardera dans son cœur, purifiée par le châtiment qu’il n’a pas voulu m’imposer et que je me serai infligé à moi-même. La mort ! c’est tout ce que je peux faire, puisque ma vie ne peut rien réparer. J’ai voulu t’écrire cela. Je ne veux pas que tu croies que je meurs pour toi et que je te regrette. Non, je te méprise et te maudis. Et ne crois pas non plus que je sois en colère contre toi ; j’ai essayé de te pardonner et de t’aimer encore ; que n’ai-je pas essayé depuis un an pour échapper à l’horreur de l’isolement ! Tout a été inutile. Le dégoût que j’inspirais à Sylvestre, j’ai senti que je l’éprouvais pour toi. Lâche ! tu vas venir recueillir mon héritage, n’est-ce pas ? Tu vas habiter ma maison, ta femme dormira dans mon lit à tes côtés ! et toi, tandis qu’elle reposera à ta droite, verras-tu à ta gauche le cadavre que je serai tout à l’heure ?

« Oh ! mon Dieu, mourir déjà, moi jeune encore et si forte, si remplie de volonté ! Je ne peux pas m’imaginer ce que c’est que d’être mort. Je me jette dans l’inconnu comme quelqu’un qui se précipiterait dans les ténèbres, sans savoir s’il tombe dans un abîme ou dans le vide. Peut-être ne tombe-t-on pas du tout ! On se retrouve peut-être debout et actif, devant quelque tâche nouvelle, avec d’autres êtres, d’autres souffrances, d’autres idées. Ah ! pourvu