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grand seigneur ? Pour construire un palais, on arrête aujourd’hui son plan comme un propriétaire qui cherche à tout utiliser, à mettre en valeur son terrain, puis on rachète ce prosaïsme en enguirlandant sa façade, en la couvrant de fleurs et de paillettes. Telle est l’histoire de cette reproduction de l’ancienne galerie du Louvre qu’on nous construit en ce moment. Vous pouvez compter les fenêtres, il n’y a pas de place perdue ; c’est comme au Grand-Hôtel ou peu s’en faut. D’un autre côté, comptez les fleurons, les rinceaux, les attributs, les ornemens de toute sorte, la surface qu’ils ont à couvrir a beau être réduite de tous les vides nouvellement créés, il y en a tout autant, peut-être plus que sur le vieux modèle. Aussi cette pauvre façade en est comme encombrée, elle n’en peut mais, qu’on nous passe le mot, elle crève d’ornemens.

Eh bien ! ce n’est rien encore, et vous n’avez rien vu en fait de luxe hyperbolique, si vous n’avez jeté les yeux sur la face opposée de ce même bâtiment, celle qui regarde le Carrousel. Ici point d’imitation directe d’un monument particulier : c’est une création libre, ou plutôt une accumulation de tout ce que l’album d’un voyageur qui a parcouru la France, l’Italie, l’Allemagne, — Chambord, Blois, Chenonceaux, Rome, Venise, Heidelberg, — a pu recueillir de motifs plus ou moins élégans, délicats, recherchés, brillans, et même empanachés parmi les œuvres de la renaissance. Il y en a tant, de tant d’espèces, depuis la base jusqu’au sommet, que vous en êtes du même coup ébloui et comme accablé. Toujours même système, même gageure ; les ornemens se touchent, pas un repos, pas un mètre carré de simple pierre sans parure. Ce serait un travail au-dessus de nos forces que de décrire ou seulement de suivre exactement des yeux cette mêlée de sculptures, autant vaudrait essayer de compter les fusées d’un bouquet d’artifice. Et notez que parmi ces détails il en est en bon nombre devant lesquels on voudrait s’arrêter, qui, pris à part, ont une vraie valeur, non-seulement par leur provenance, mais par une exécution souvent ferme et brillante.

C’est encore là quelque chose qui n’appartient qu’à ce temps-ci : des mains habiles, d’ingénieux instrumens, vous en trouvez presque autant qu’il en faut ; ce que vous ne trouvez pas, c’est la pensée. Le manœuvre aujourd’hui est aussi supérieur que l’artiste l’est peu. On sculpte bien une corniche, on ne fait pas un monument. Il en est de même à la guerre : des soldats admirables, des généraux de second ordre ; assez pour gagner encore des batailles, pas assez pour combiner un plan. Les décadences d’autrefois avaient un autre caractère : elles étaient tout d’une pièce. À chaque époque où la pensée s’abaisse, voyez l’exécution, elle faiblit en même temps.