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ment de professer que nous la connaissons en soi, mais n’interdit pas de la considérer comme un substratum absolu et une cause première de toute chose; dans le système déiste, la même relativité au sujet de Dieu interdit seulement de s’enquérir de l’essence divine, mais n’interdit pas de rattacher toute chose à une cause créatrice et providentielle. Là se montre clairement l’impuissance objective de la psychologie, et, par une conséquence irrésistible, sa subordination à l’objet, ce qui détermine sa place en philosophie positive.

Autre a été le procédé de M. Comte et autre le résultat. Le procédé : ayant construit la philosophie de chaque science fondamentale, il reconnut a posteriori que dans toutes on arrivait à des conditions dernières ou non, mais au-delà desquelles on ne pouvait trouver d’autres conditions; c’est ainsi qu’il a formé expérimentalement son principe que dans la connaissance humaine rien n’est absolu, car telle est la formule qu’il en a donnée. — Le résultat : tandis que la psychologie ne détermine en aucune façon le caractère de la limite où s’arrête la possibilité de décomposer les phénomènes en effets et en causes et laisse ouverte la porte à l’admission des causes premières, la philosophie positive, par la main de M. Comte, indique d’une façon lumineuse et certaine que cette possibilité s’arrête au phénomène irréductible que chaque science se déclare incapable de décomposer, ce qui marque la borne du monde intelligible et le bord de celui où l’intelligibilité cesse pour nous. Ainsi dans la question de la cause première, soit matière, soit Dieu, dont j’ai parlé tout à l’heure, chaque science dans son domaine n’atteint rien qui puisse être dit premier, mais elle atteint certaines causes, ou existences, ou conditions, qu’elle n’a aucun droit de qualifier autrement que de causes, existences, conditions impénétrées.

Tout cela étant considéré, il n’est pas exact de dire qu’en incorporant la relativité de la connaissance humaine à la philosophie, M. Comte n’ait rien innové, et n’ait fait que prendre à son service un principe qu’il a trouvé dans le domaine commun. Le sien diffère du principe psychologique par la source et par la portée. En effet, d’une part, bien loin que la relativité de la connaissance humaine soit le fondement de la philosophie positive, elle en est le résultat, le corollaire; la philosophie positive ne s’est pas faite par ce principe, elle a fait ce principe, et d’ailleurs il n’est dans la relativité psychologique de la connaissance humaine aucune vertu contre la notion des causes premières; il n’en est que dans le principe expérimental de la relativité, qui, n’ayant rien à dire sur leur existence ou leur non-existence, indique les points divers où dans la recherche ascendante des causes l’esprit humain est arrêté. Le