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tans furent presque aussi persécuteurs que les catholiques, même quand ils croyaient aussi fermement que les catholiques le salut attaché à la vraie foi; pourtant ils maintenaient que cette foi devait être non pas acceptée d’un prêtre, mais cherchée et trouvée par le fidèle, à son péril éternel s’il se trompait. Éviter une erreur fatale devenait ainsi en grande partie une question d’instruction et de lumières, et chaque croyant, quelque humble qu’il fût, était sollicité par un puissant mobile à chercher l’instruction et à y faire des progrès. Aussi, dans ces contrées protestantes dont les églises ne sont pas, comme l’église d’Angleterre fut toujours, des institutions principalement politiques, en Écosse par exemple et dans les états de la Nouvelle-Angleterre, une somme d’éducation dont il n’y a pas d’autre exemple parvint jusqu’aux moindres du peuple. Chaque paysan expliquait la Bible à sa famille, beaucoup à leurs voisins, ce qui procurait à l’esprit la pratique de la méditation et de la discussion sur tous les points de la croyance religieuse. L’aliment peut n’avoir pas été le plus nourrissant, mais nous ne devons pas fermer les yeux pour ne pas voir combien de si grands objets étaient propres à aiguiser et à fortifier l’intelligence. »


Il est un grief que j’ai non pas contre la philosophie positive, mais contre M. Comte, car lui aussi a quelquefois manqué contre cette philosophie qu’il a créée. Ce grief, que je trouve articulé aussi chez M. Mill, est que, sur la fin de son grand traité, M. Comte se donne licence d’admettre un certain arbitraire avec la preuve, avec l’objectivité, avec la rigoureuse correspondance entre une conception et la réalité extérieure. Je laisse parler M. Mill.


« Dans un résumé de la méthode positive, M. Comte réclame en termes exprès la licence d’admettre, « sans aucun vain scrupule, » des conceptions hypothétiques, « à l’effet de satisfaire dans les limites convenables nos justes inclinations mentales qui se tournent toujours, avec une prédilection instinctive, vers la simplicité, la continuité et la généralité des conceptions, tout en respectant constamment la réalité des lois extérieures en tant qu’elles nous sont accessibles. Il prétend que le point de vue le plus philosophique nous conduit à concevoir l’étude des lois naturelles comme destinée à représenter le monde extérieur de manière à donner aux inclinations essentielles de notre intelligence toute la satisfaction compatible avec le degré d’exactitude commandée par l’ensemble de nos besoins pratiques[1]. Parmi ces inclinations essentielles, il compte non-seulement notre prédilection instinctive pour l’ordre et l’harmonie qui nous fait goûter toute conception, même fictive, servant à réduire les phénomènes en système, mais même « les convenances purement esthétiques, qui, dit-il, ont une part légitime dans l’emploi du genre de liberté resté facultatif pour notre intelligence. » Après la satisfaction convenable « de nos plus éminentes inclinations mentales, » il restera encore « une marge considérable d’indétermination qui devra être employée à gratifier directement notre besoin d’idéalité en embellissant nos pensées scientifiques, sans en endom-

  1. Cours de Philosophie positive d’Auguste Comte, t. VII, p. 639-642.