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riant. Je vous parlais de votre hache ; convenez que cet outil vous plaît, que vous aimez à vous en servir. Vous ne trancheriez pas des têtes, j’en suis presque sûr, mais vous n’êtes pas lâché de vous exercer sur des souches. Peut-être est-ce une recette d’hygiène, un moyen de dériver les humeurs.

— En vérité, je joue de malheur, lui dis-je. Mes anciens amis prétendent que je ne me fâche plus, que je ne m’indigne plus, que j’ai laissé affadir mes convictions par une philosophie à l’eau de rose. Et vous, mon cher, vous soupçonnez que si je taille un vieux bois mort, c’est faute de mieux, et que, frappant sur la souche, je rêve à la guillotine. A qui entendre?

— La main sur la conscience, dit-il, êtes-vous jacobin? ne l’êtes-vous pas ?

— Je crois bien que je ne le suis plus, quoique je ne rougisse pas de l’avoir été; mais, vous qui parlez, savez-vous bien ce que c’est qu’un jacobin?

— Belle question!

— Moins simple qu’il ne semble. Vous ne regardez, vous, qu’à la couleur du bonnet. Est jacobin, selon moi, tout homme coiffé de rouge ou de blanc, il n’importe, qui met l’absolu dans la politique et dit : Mes amis et moi, nous sommes la justice, nous sommes la liberté, et hors des institutions que nous prônons il n’y a que servitude et que misère. Ces gens-là n’ont pas des opinions, ils ont des dogmes, et ils ne répugnent guère aux mesures violentes, car il est de l’essence des dogmes d’être persécuteurs. Quiconque se tient assuré que hors de l’église il n’est point de salut sera toujours tenté de pratiquer le compelle intrare, et en bonne logique il doit brûler vifs les hérétiques pour leur apprendre à vivre.

— Ainsi, me dit-il, vous avez renoncé à dogmatiser?

— J’ai des croyances, répondis-je, des convictions, de vives préférences et d’ardentes antipathies, des regrets et des espérances; mais je ne cite plus devant mon tribunal les vivans et les morts, je ne distingue plus les hommes en enfans des ténèbres et en fils de la lumière; je ne crois plus que tout le bien soit d’un côté, tout le mal de l’autre; j’estime que les gens qui n’ont pas raison peuvent quelquefois n’avoir pas tout à fait tort. Je n’admets pas non plus qu’il y ait des institutions parfaites, ni que la société que je rêve fût supérieure de tout point à toutes celles que nous voyons dans l’histoire. On a dit que rien n’est si bon que quelque abus ne s’ensuive. On peut dire aussi qu’il n’est pas d’abus si criant qu’il n’en puisse résulter quelque bien. En cela, mais en cela seulement, je suis de l’avis de M. Adams. La nature se plaît à semer le bien dans le mal et le mal dans le bien. Et par exemple je n’envie point aux