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Des soleils que l’ombre éternelle
Voit courir dans sa profondeur.

Hélas! hélas! flamme infidèle!
Dans le cœur vient-elle à pâlir,
Le cœur n’est plus, mourant comme elle,
Que le tombeau d’un souvenir.

Je veux aimer. Le flot, la grève,
Le vent, le silence des cieux,
La fleur, l’étoile qui se lève,
Tout me promet un songe heureux.

O vanité de l’espérance!
Aimer, c’est rêver et souffrir;
Car si douce est cette souffrance,
Que le cœur rêve d’en mourir.

Je te dirai le grand mystère :
L’amour n’est rien, l’amour est tout.
Le monde, sans cette chimère,
Est un conte à dormir debout.

En vain mon cœur m’a dit : Espère!
Voici venir la fin du jour.
Et j’aurai passé sur la terre,
N’ayant rien aimé que l’amour.

— Bravo, Georgette! s’écria le baronnet, qui avait marqué la mesure en coupant l’air avec son index. Comme elle a la voix juste! Pourquoi cette chère et maudite fille m’a-t-elle fait si longtemps un mystère de ses talens?

Georgette se tut quelques secondes; puis, s’étant levée et me regardant d’un œil fixe, d’un air sauvage et farouche, elle continua :

De la mort l’amour est le frère.
— Pour moi cueillez de blancs œillets. —
La mort est le mot du mystère.
De l’amour elle a les secrets.

Aimer, c’est mourir à soi-même.
— Cueillez la bruyère et le thym. —
De la mort j’ai vu le front blême
Couronné d’un myrte divin.

J’ai vu la mort, cette immortelle.
— Pour moi cueillez un lis fleuri. —
L’amour se cachait derrière elle,
Et les ténèbres m’ont souri.

— Cueillez la rose et la verveine. —
La mort est l’éternel baiser.
Et je veux dans sa froide haleine
Respirer le dieu tout entier.