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Il me laissa passer. J’entrai au salon, je déposai Georgette sur un sopha. Le baronnet, qui m’avait suivi, me dit un bref thank you ! S’étant agenouillé auprès d’elle, il visita sa blessure et y fit un premier pansement avec une tendre sollicitude et une délicatesse de main dont je ne l’aurais pas cru capable. Au bout d’un quart d’heure, elle poussa un soupir, rouvrit les yeux. En ce moment, le docteur entra, et je me retirai.


XIV.

Un mois plus tard.

M. Adams l’avait dit : tout est bien qui finit bien. Honneur à ce digne baronnet! Il s’est décidé à entendre raison. Pendant plusieurs jours, l’état de Georgette parut désespéré. Elle était en proie à une fièvre dévorante, le médecin ne répondait plus de rien. Son tyran prit alors un grand parti; dans un moment où elle avait sa connaissance, il lui fit dire qu’il renonçait à ses projets, qu’elle était libre, et que, si elle voulait à toute force se séparer de lui, il allait écrire à sa sœur, qui consentirait sûrement à se charger d’elle et à lui faire un sort. Georgette accepta cette proposition avec des transports de reconnaissance, et de ce jour la fièvre prit son congé. Le baronnet, qui ne fait jamais les choses à demi, se piqua de nous étonner par sa générosité : non content d’affranchir sa belle captive, il lui assura une fortune considérable. Sa sœur arriva tout courant d’Angleterre. Georgette aurait voulu déloger sur l’heure, mais le docteur n’y consentit pas; elle n’aurait pu supporter les fatigues d’un voyage. Elle exigea que du moins jusqu’au jour du départ miss Adams ne la quittât pas d’une semelle; elle ne se sentait en sûreté que lorsqu’elle la voyait assise au chevet de son lit, ou qu’elle pouvait serrer dans ses doigts un pli de sa robe.

Il y eut, à vrai dire, des jours de crise et de tempête où tout fut remis en question. Voyant sa proie près de lui échapper, M. Adams fut pris par intervalles de véritables accès de rage. On l’entendait s’écrier qu’un honnête homme sans préjugés ne peut renoncer sans déshonneur à ce qu’il a voulu pendant dix ans, que se déjuger est un opprobre, que Georgette était à lui, qu’il ne se laisserait pas dérober son bien, et il menaçait de la tuer, de me couper la gorge et de se pendre. Miss Adams, qui est le flegme incarné, essuyait sans s’émouvoir tous ses emportemens et se contentait de dire : Il a toujours été tourmenté des diables bleus, mais le cœur est bon...

Ce matin, je vis une berline sortir de la remise de la villa. Elle fut bientôt attelée. Le cocher toucha. Je fus me poster devant ma porte, et quand la voiture passa, je saluai; mais on ne répondit pas