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tume ? Il admire dans l’esprit des Écossais certaines provisions d’en cas, des morceaux tout disposés pour l’occasion, moins de flair que d’exactitude et de solidité; ils sont à son avis comme les chiens qui ne trouvent pas, mais qui apportent. Macaulay, qui était si lié avec la Revue d’Edimbourg et qui d’ailleurs était petit-fils d’un Écossais, n’affiche pas ce dédain anglais pour la sœur cadette de l’Angleterre; mais il compare la conversation du célèbre Mackinstosh aux piliers d’un édifice taillés d’avance et tout prêts à servir. Tout cela explique assez bien l’Écossais logicien et préparé à la dispute, mais les poètes, les romanciers? mais les critiques et ceux qui amalgament la logique avec l’imagination?

M. Masson, avec son habitude héréditaire de l’abstraction, me semble avoir trouvé le nœud de la question. Il ne suffisait pas sans doute d’appartenir à la nation dont il s’agit pour la définir, puisque nous prenons volontiers notre pays pour le monde universel, et nos concitoyens pour le genre humain tout entier; mais il a de bonne heure quitté l’Ecosse. Obéissant au mouvement qui entraîne ses compatriotes vers le cœur de l’empire, il a observé, étudié loin de la petite patrie. Lui aussi, il a été forcé, comme d’autres dont il raconte la vie, d’aller à Londres, à la ville, comme disent nos voisins; il a été forcé de mettre le feu à la Tamise, c’est-à-dire de conquérir le succès. Et sans doute le souci de réussir et de vivre dans une ville, dans un océan, dans un monde comme Londres, ce souci qu’il décrit avec force dans son étude sur Chatterton, n’a pas été sa seule pensée. Comment à cette distance a-t-il jugé ses concitoyens? Comment s’est-il jugé lui-même? J’extrais de son travail sur l’influence écossaise une page touchant le trait principal de l’esprit écossais, qui suivant lui est l’emphase. Il faut seulement écarter de ce mot la notion de pompe et d’enflure que l’usage français y attache. On sait que l’emphasis dans toutes les langues, excepté dans la nôtre, signifie simplement l’insistance outrée sur une pensée ou l’exagération du sens d’un mot.


« Tous les Écossais sont emphatiques. Un Écossais est-il fou, il donne une telle emphase à la niaiserie qu’il exprime, qu’il est bien plus insupportable qu’un fou de tout autre pays. Un Écossais est-il homme de talent, il donne une telle emphase aux choses excellentes qu’il veut communiquer, qu’elles attirent l’attention sur-le-champ. Cette habitude de l’emphase est précisément ce perfervidum Scotorum ingenium dont on faisait la remarque, il y a quelques siècles, partout où les Écossais étaient connus. Cependant emphase vaut mieux. Beaucoup d’Écossais sont ardens, fervidi, non pas tous; ils sont tous, absolument tous, emphatiques (insistant sur leur pensée ou sur leur expression).., David Hume (l’historien philosophe), Reid, Adam Smith et autres froids Écossais de cette espèce n’ont aucune