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dû concevoir énergiquement le sentiment de la personnalité; mais pour enfanter la théorie écossaise du sens intime et de la perception extérieure il suffisait du scotticisme intellectuel qui insiste, qui creuse et qui cherche ses idées générales dans le sens de la profondeur, au lieu de les lier de proche en proche et par des à peu près pour la plus grande commodité, comme font les Anglais. On conçoit aussi qu’en critique ils établissent des propositions comme un théologien divise son sermon en tant de points, qu’il reprend ensuite méthodiquement. Macaulay, qui a des habitudes anglaises, dit à propos de son sujet les choses les plus intéressantes, et qui peuvent le mieux servir son drapeau. Jeffrey, plus rigoureux parce qu’il est Écossais, cherche toujours une ligne qui passera par trois ou quatre points donnés; il croit avoir trouvé la vérité, s’il a prouvé sa thèse. L’auteur que j’ai devant moi a certaines idées sur lesquelles il revient souvent. Lui aussi il insiste, il creuse, il a l’emphasis; n’a-t-il pas dit que tous les Écossais, absolument tous, ont cette insistance, cette emphase intellectuelle? En lui, le critique prend souvent les allures du lecturer, et je ne parle pas seulement de ses deux cours sur le roman et sur la philosophie. Il s’agit par exemple de Wordsworth et des trivialités cherchées de sa poésie; bonne occasion pour une petite leçon sur cette question si souvent posée de nos jours : « pourquoi n’écrit-on pas comme on parle? » Mais Wordsworth est un contemplateur! Autre leçon sur la distinction du spéculatif et du contemplatif. Il suffit peut-être de la page que nous venons de citer. L’importance que l’écrivain attache à cette emphase écossaise, les conséquences qu’il en tire, ne prouvent-elles pas au besoin qu’il la possède lui-même à un assez haut degré?

Assurément voilà bien des preuves de scotticisme, et M. David Masson est un esprit qui porte bien la marque de son pays; mais, ne vous y trompez pas, il est bien loin d’être un continuateur de Jeffrey, et la nouvelle génération ne s’accommode pas de toutes les idées de sa devancière. Un des points sur lesquels la critique d’aujourd’hui se sépare tous les jours un peu plus de celle qui l’a précédée, c’est le XVIIIe siècle. Cette époque litigieuse est aussi chez nous un terrain de disputes et de combats, mais avec cette différence, que de ce côté du détroit la querelle est littéraire et religieuse, tout le monde étant d’accord pour abandonner le régime politique de ce temps-là, et que de l’autre côté elle est littéraire et politique, tout le monde paraissant renoncer à l’indifférence religieuse de cette époque. En politique, la distinction de whig et de tory, regardée comme capitale il y a cinquante ans, tombe de plus en plus dans le discrédit. En littérature, Pope et Johnson, niés,