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Cafres de 1834 n’avait été qu’une cause secondaire du mouvement qui chaque année amenait de nouveaux Boers au-delà du fleuve Orange; on ne le vit que trop lorsqu’en 1848 le gouvernement anglais voulut établir un peu d’ordre au sein de cette population. Pour y parvenir, il fallut presque une bataille, celle de Boomsplatts, à la suite de laquelle les plus récalcitrans des Boers se portèrent encore plus au nord, franchirent la rivière Vaal ou Fal, et se proclamèrent en république, sous la présidence d’un des leurs, nommé Prétorius. Six ans plus tard, de guerre lasse, les Anglais renonçaient d’eux-mêmes à s’annexer définitivement le territoire que leur avait donné la bataille de Boomsplatts, et une seconde république s’y organisait sous le titre d’état libre de l’Orange. Elle comptait de 12 à 15,000 blancs, et sa voisine de 15 à 20,000.

L’indépendance que les Boers ont ainsi conquise n’est pas seulement un échec pour les Anglais; c’en est un aussi, et malheureusement plus grave, pour la cause intéressante de la civilisation africaine. Les témoignages de tous les missionnaires, anglais, français ou américains, sont unanimes à cet égard, et ils nous montrent chez les Boers une tendance marquée à faire de leur territoire une sorte de Paraguay africain, tel qu’en avait rêvé Francia au Nouveau-Monde[1]. Leur succès du reste ne sera que passager, car les Anglais ont déjà commencé à tourner la position. Ils sont à Natal, et ils y créent une colonie de premier ordre, qui, maîtresse de tous les débouchés de la côte, s’assimilera tôt ou tard les territoires des Boers par un progrès non moins sûr que celui de la goutte d’huile sur l’étoffe où elle est tombée; mais, pour bien comprendre cette situation, il est nécessaire de dire quelques mots de la marche ascendante de l’Angleterre le long de la côte orientale d’Afrique. C’est un des chapitres les plus instructifs de son histoire coloniale.

Le cap de Bonne-Espérance, deux fois conquis par la Grande-Bretagne pendant les luttes du commencement de ce siècle, ne lui fut définitivement assuré que par les traités de 1815. À cette époque, la colonie, assez vaguement limitée au nord, s’étendait à l’est jusqu’au 25e degré de longitude, encore n’était-ce guère qu’une possession nominale près de la frontière. Les choses ne tardèrent pas à changer de face, et dès 1819 le parlement vota des fonds destinés à favoriser l’émigration de ce côté. Combien de familles en France eussent répondu à un semblable appel? Pas dix peut-être, tandis que celles qui s’adressèrent au gouvernement anglais repré-

  1. Un habitant de la république du Trans-Vaal ayant adressé aux journaux de Cape-Town une lettre relative au voyage du lac Ngami, découvert par Livingstone, les Boers lui infligèrent 500 dollars d’amende pour avoir publié quelque chose sur leur pays (onze veldt), et ils l’emprisonnèrent jusqu’à ce que cette somme fût payée.