Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 65.djvu/1010

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lant. Il faut être à la hauteur des circonstances. Il ne s’agit pas de dominer l’opinion publique, il faut aller au-devant d’elle et faire, pour la joindre, un peu de chemin. Les intérêts de vanité ne doivent être comptés pour rien en un pareil moments il faut que les cœurs se dilatent. Il est nécessaire de raffermir la France dans le sentiment de sa force morale et de sa force matérielle ; il est urgent de lui rendre toute sa spontanéité naturelle, de produire au jour et de rassembler toutes ses forces vives, collectives et individuelles, dont un si grand nombre s’étiolent depuis trop longtemps dans les nœuds d’énervantes lisières, dans un isolement malsain et une obscurité débilitante. On a beaucoup à demander à ce peuple ; qui oserait dire qu’on n’a rien à lui donner ?

On ne manquera point de reconnaître la justesse du mélange de vœux et de pressentimens que nous exprimons ici, lorsqu’on abordera pratiquement la grande question de la réorganisation de l’armée. Ce problème assurément ne sera pas négligé ni éludé. L’opinion publique n’y saurait rester indifférente ; elle ne paraît point s’en être saisie encore avec assez d’intelligence et d’ardeur : cela tient sans doute aux habitudes passives qu’elle a contractées, aux entraves qui empêchent ses manifestations spontanées, à la situation précaire et subalterne où l’on retient la presse française. Ces malheureuses apparences vont jusque tromper quelques observateurs étrangers qui portent un sincère intérêt à nos destinées. « Je ne puis admettre, nous écrit un Allemand distingué, que l’esprit de parti ait déjà corrompu la nation française au point de la rendre indifférente à son indépendance ; Il faut absolument faire un effort. Malheureusement il règne en France une ignorance singulière sur ce qui se passe à l’étranger. » Cette funeste ignorance n’ira point, nous l’espérons, jusqu’à nous faire perdre de vue ce qui se passe en Allemagne à l’instant même. Tandis que les journaux nous donnent à lire les patentes d’annexion du roi Guillaume, la Prusse ne perd pas son temps. Aux neuf corps d’armée qu’elle avait eus jusqu’à présent, elle en ajoute trois nouveaux, formés dans les provinces annexées, comme elle a l’intention d’en créer un treizième dans le royaume de Saxe, elle sera bientôt près d’atteindre le million d’hommes que nous avions prédit. Ce ne sont plus des conjectures, ce sont les faits mêmes qui vont forcer la France à se mettre en mesure d’avoir, elle, aussi, en cas de guerre, un million de combattans. On n’arrivera point là par un acte législatif rapide et sommaire. Il ne peut suffire d’ajouter par un trait de plume 400, 000 gardes nationaux mobilisables aux 600, 000 hommes produits par notre système de conscription. Il faudra prendre les précautions nécessaires pour assurer l’homogénéité des forces combattantes de la France en cas de guerre. Pour cela, il sera indispensable, en même temps qu’on décidera l’augmentation de l’effectif, de prendre en considération très sérieuse l’état de notre armée et l’efficacité de nos institutions militaires.

La loi de recrutement de 1832 est la base de notre organisation actuelle,