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honorant les élus, il faut de ce côté aussi se garder d’exagérer la justice. Il faut craindre d’arriver soi-même à prêcher le fatalisme sous une autre forme en prétendant réprouver la foi dans l’influence fatale des circonstances et des faits extérieurs.

Vasari avait, il est vrai, ses raisons pour mettre en oubli les secours venus à Cimabue du dehors et pour vanter, au détriment de quelques talens rivaux, un talent qui s’était produit, sur le territoire de la république florentine. Son orgueil national pouvait y trouver son compte, et de plus Côme Ier, qui avait accepté la dédicace du livre composé par le peintre-écrivain, n’était pas homme, on le sait, à passer facilement condamnation, en matière d’histoire comme ailleurs, sur un acte d’indépendance ou de franchise. La gloire du pays qu’il gouvernait lui semblait trop bien inféodée à celle de sa famille et à la sienne pour qu’il consentît à entendre parler de progrès accomplis au-delà des murs qui avaient vu naître les Médicis. De là sans doute la partialité de Vasari en ce qui concerne la révolution opérée par Cimabue et le silence presque absolu qu’il garde non-seulement sur les origines de la peinture dans l’Ombrie ou dans la Lombardie, mais même sur ce qui se passait à Sienne et à Pise à l’époque où ces vieilles républiques toscanes n’appartenaient pas encore au duché de Florence. Et cependant, quels que soient à cet égard les calculs prudens du courtisan de Côme ou, si l’on veut, ses dénis de justice, avec quelque zèle qu’il travaille à célébrer, à surfaire peut-être les mérites du fondateur de l’école florentine, ces mérites sont assez considérables en eux-mêmes pour légitimer, pour excuser au moins des opinions aussi exclusives et pour ne compromettre à peu prés que la chronologie dans les erreurs qu’elles ont accréditées. Toutes les rectifications archéologiques, toutes les découvertes dues à la patience ou à la sagacité des érudits modernes ne sauraient en effet infirmer le témoignage de Vasari que sur quelques points de détail. Que Cimabue n’ait pas, à proprement parler, « fait briller les premiers rayons de la peinture, » comme son complaisant biographe le croit ou feint de le croire ; — que de son temps ou même avant lui il y ait eu ailleurs qu’à Florence des peintres dont les efforts méritent d’être rapprochés des siens, — cela maintenant n’est plus douteux ; mais il est certain aussi que la Madone de Santa-Maria-Novella et la Madone du Louvre ont une éloquence pittoresque qui manque aux autres œuvres contemporaines, que les tableaux authentiques de Giunta à Pise, de Guido à Sienne, de Coppo di Marcovaldo ou de tels anciens maîtres imagiers récemment recommandés à l’attention n’accusent que des intentions de progrès relativement timides, qu’en un mot si Cimabue n’est ni le premier, ni le seul réformateur