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avec l’emploi de l’élément dramatique. Sans renoncer, tant s’en faut, à idéaliser la vérité, le pinceau veut et sait désormais en analyser toutes les conditions et en aborder toutes les faces.

Les fresques de l’église basse à Assise, et en particulier trois grandes compositions sur la Pauvreté volontaire, l’Obéissance et la Chasteté, annoncent avec éclat cette révolution opérée dans l’art par Giotto. Que reste-t-il ici, non-seulement de l’inflexibilité byzantine, mais même de ces demi-mesures dans l’interprétation du vrai, de ce naturalisme craintif que, la veille encore, les mieux inspirés parmi les novateurs croyaient le dernier terme des audaces permises, ou tout au moins la formule nécessaire pour le temps de la sincérité pittoresque et du progrès ? Certes il y a loin encore des procédés sommaires employés par Giotto pour rendre la nature à la perfection et aux scrupules avec lesquels les maîtres du XVe et du XVIe siècle en feront revivre les plus délicates beautés ; mais la distance n’est guère moindre entre les exemples de véracité qu’il donne et les compromis ou les mensonges dont on s’accommodait avant lui.

Il suffira, pour mesurer cette distance, de se rappeler les deux groupes qui dans l’allégorie sur la Pauvreté personnifient l’un la bienfaisance, l’autre l’avarice et l’attachement aux plaisirs, ou de comparer les anges agenouillés dans la composition sur l’Obéissance aux figures du même genre que les peintres antérieurs superposaient, depuis la base jusqu’au sommet, autour du trône de la Madone. Quoi de plus vrai, au moins par les intentions, que les lignes inégalement agitées ou assouplies exprimant ici l’empressement d’un homme à se dépouiller de son manteau pour en vêtir un pauvre, là les résistances qu’opposent à l’influence de ce charitable exemple deux personnages dont l’un tient dans ses mains et serre avec un redoublement de tendresse un sac rempli d’or ? Lorsqu’on examine les chœurs d’anges environnant le sanctuaire au fond duquel un franciscain courbe la tête sous le joug présenté par l’ange de l’obéissance, comment ne pas s’étonner que le pinceau ait pu réussir si vite à conformer le mouvement des draperies aux diverses attitudes du corps, à varier ainsi les apparences de la vie par les caractères particuliers de chaque type, de chaque visage, de chaque trait ? Encore une fois, on serait mal venu à prétendre trouver dans le dessin souvent incomplet de Giotto l’équivalent des formes achevées que tracera deux cents ans plus tard la main de Léonard ou celle de Raphaël. Même avant l’époque qu’illustreront ces maîtres incomparables et les plus grands parmi leurs contemporains, Masaccio, Ghirlandaïo, Filippino Lippi, modèleront plus savamment une tête ou les plis d’une étoffe : Giotto néanmoins, dès les