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les dispositions des traités de 1815, mais une convention récente, une convention du règle. On pouvait d’ailleurs, en protégeant un état faible contre les convoitises brutales d’un grand état, se maintenir dans la ligne des meilleures et des plus sûres traditions de la politique française. On négligea systématiquement cette honnête et grande occasion ; on n’y vit qu’un sujet de puériles et taquines représailles contre l’Angleterre. On affecta l’impartialité, on eut l’air de prendre ses aises pour assister à la série des complications qui allaient naître. L’Allemagne avait une proie, elle ne tarderait pas à se diviser pour le partage ; il était commode de surveiller ces luttes en spectateur et d’en faire tourner à peu de frais les chances à son avantage. On pouvait, par une déclaration nette et catégorique en faveur soit de la Prusse, soit de l’Autriche, rendre la guerre impossible, tout en assurant une réforme de la confédération allemande et la restitution de Venise à l’Italie. On a mieux aimé la politique du laisser-faire. De bonnes gens, avec la meilleure intention d’être profonds et habiles, se croyaient près de réaliser à leur profit le vieil adage : inter duo dimicantes. On a poussé la circonspection jusqu’à s’exposer à voir une grande crise européenne éclater et se terminer sans que la France eût assuré sa liberté d’action par de suffisans préparatifs militaires. Au bout de ces réticences significatives, de ces finesses complexes, de ces cautèles, comme auraient dit nos pères, on sait ce qui est arrivé : partis pour être évêques, nous sommes revenus meuniers. M. Drouyn de Lhuys n’hésite point à reconnaître son échec, puisqu’il abandonne une tache qui convenait si bien aux antécédens de sa carrière et aux qualités de son esprit.

Il y aurait à tirer de ce dénoûment plusieurs leçons instructives. Il est probable que M. Drouyn de Lhuys eût rendu un plus grand service à l’empereur, si, ayant abordé la crise d’Allemagne, commencée il y a trois ans, avec des idées fermes et bien arrêtées, il se fût moins livré au hasard des accidens, et eût, en cas de dissentiment, offert plus tôt sa démission. Quand la fermeté d’esprit s’allie avec le dévouement et avec le respect, elle est la qualité la plus utile qu’un chef d’état puisse rencontrer dans un ministre, quelle que soit la forme constitutionnelle du gouvernement. Nous n’avons nullement l’idée d’évoquer ici les anciennes polémiques sur les droits des assemblées représentatives et les prérogatives du pouvoir exécutif. La pratique de nos institutions actuelles nous apprend suffisamment que la chambre représentative a le droit de prendre la parole sur les affaires extérieures de la France. Ce droit, elle ne l’a point exercé dans la question qui vient de se résoudre. Tout le monde a remarqué le soin particulier avec lequel on a dissuadé la chambre de s’éclairer, d’éclairer le pays et le gouvernement lui-même par une discussion opportune des affaires allemandes. On eût dit la vieille jalousie des chancelleries d’ancien régime contre le débat public des affaires étrangères. Cependant après l’événement qui oserait dire que le silence n’a point eu plus d’inconvéniens que la discus-