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rudimentaire dans l’Iliade, on y compte par bœufs sans unité monétaire ; le trafic maritime n’est rien, il est entre les mains d’Orientaux dont les pays sont l’objet de grossières erreurs. Dans le roman d’Ulysse, les pays du sud et du sud-est de la Méditerranée sont fréquentés par les Grecs, qui font régulièrement l’intercourse entre la Crète et l’Égypte ; ils y rencontrent des négocians et des pirates, ils trafiquent avec les Phéniciens, dont ils estiment peu la probité. Enfin ce commerce porte sur des objets variés et notamment sur les métaux, dont le transport et le change procurent aux navigateurs de grands bénéfices.

Otfried Muller n’a pas non plus été frappé d’un changement capital qui s’est produit durant cette période dans la culture de la poésie épique. Dans l’Iliade, pas un poète, pas une légende relative à la poésie, pas de mot pour la désigner, pas de nom commun appliqué à ceux qui composaient des chants. C’est l’état rudimentaire par excellence. En revanche ce poème nous dépeint les envoyés des Grecs trouvant dans sa tente Achille, une cithare à la main, occupé à chanter les exploits des héros ; son ami Patrocle est assis en face et l’écoute. Achille était donc un chantre épique, un chantre de cantilène, comme les seigneurs au temps de Pépin et de Charlemagne. Et tous ces récits, tous ces épisodes que l’on met dans la bouche des vieillards, qu’est-ce autre chose que des rudimens d’épopée ? Il est donc probable que, comme les autres chansons de gestes et comme les purânas de l’Orient, l’Iliade s’est formée par la réunion de ces cantilènes primitives et par l’amplification de quelques-unes d’entre elles. Quand vint l’Odyssée, tous les éléments épiques avaient grandi. Au lieu d’un récit rectiligne où les événemens se suivent dans leur ordre chronologique et comportent tous les épisodes imaginables, on eut un véritable poème dont la composition est complexe, où les événemens sont disposés en séries croisées, sans ordre chronologique et pour le plus grand effet. Ici une mise en scène très soignée, une exposition égale à celle des meilleures tragédies, nul parallélisme, une contexture savante qui assure l’unité de composition, des arrêts ou époques autour desquelles se groupent les séries complexes des événemens, enfin un dénoûment qui n’arrive qu’à la fin et après lequel le lecteur n’a plus rien à attendre. Du reste, comme au temps des romans d’aventure et du Râmâyana, les poètes épiques forment alors une classe à part dans la société, on les nomme aèdes comme on les nommait kavis dans l’Inde et jongleurs (joculatores) au moyen âge. Nul roturier ne chante dans l’Iliade, la cithare est entre les mains des héros ici au contraire les aèdes sont des hommes du peuple, aucun d’eux n’appartient à la classe des seigneurs ; ils vivent ordinairement à la