Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 66.djvu/1011

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

moustaches, que les signes de familiarité accordés par une jolie femme à un homme sans conséquence étaient des faveurs qu’on ne pouvait envier ni même souhaiter.

Tandis que leurs amis tiraient ces justes conclusions, don Alvise et miss Lovel se promenaient ensemble sous les ombrages solitaires du jardin botanique.

— Vous devez me trouver bien ridicule, disait Centoni ; je n’ai jamais compris ce que les Français appellent faire la cour à une femme. Votre beauté vous expose à en savoir plus que moi là-dessus. Obligez-moi de me dire comment s’y prennent les autres hommes.

— Autant, répondit miss Lovel, que ma petite expérience me permet d’en juger, la méthode généralement usitée me paraît être celle-ci : lorsque ces messieurs nous ont donné à entendre qu’ils nous trouvent à leur goût, ils n’ont plus qu’une pensée, c’est de nous faire savoir combien leur préférence nous honore. Afin que nous ne puissions pas prétexter l’ignorance de leurs mérites, ils nous répètent tout ce qu’ils ont dit de spirituel dans leur vie ; toutes leurs actions d’éclat, ils nous les racontent, et Dieu sait de quoi ils se vantent quand leur intelligence n’est pas à la hauteur de leur envie de plaire ! Par ce moyen, ils se ménagent une retraite honorable en cas d’échec. Il est clair que, si notre cœur ne se rend pas, c’est que nous ne sommes point capables de les apprécier. Malheureusement la préoccupation trop visible de sauver leur amour-propre éveille notre défiance et nous met sur nos gardes. Il y aurait du bon dans cette méthode, si on la pratiquait naïvement. Le désir de se faire valoir aux yeux de la personne qu’on aime est naturel et légitime. De la part d’un homme simple et modeste, comme vous par exemple, ce serait une preuve d’amour que de parler avantageusement de soi ; ainsi, mon cher seigneur, s’il est vrai que vous m’aimez, dites-moi du bien de vous-même.

— Vous me désolez, répondit Centoni : je sens amèrement aujourd’hui la misère et le vide de mon existence. Que ne donnerais-je pas pour avoir à vous raconter l’un de ces traits qui frappent l’imagination d’une femme ! Fare colpo, comme nous disons en italien ; faire impression, comme disent les Français, voilà le grand mot : je ne saurais mentir cependant, et je me vois forcé de vous avouer que de ma vie je n’ai fait ni un trait d’esprit, ni une action remarquable.

— Pour de l’esprit, reprit Martha, on en a toujours assez avec un cœur comme le vôtre, et je vous citerai à ce sujet un proverbe oriental qui me semble fait pour vous. Un poète persan a dit : L’esprit a beau courir, d’un seul bond le cœur ira toujours plus loin que lui. — Voilà pourquoi en un jour vous vous êtes transformé.