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étudier le bouddhisme, puis de continuer sa route afin de gagner la Chine en traversant les régions septentrionales, rarement explorées jusqu’ici, de l’empire birman. Il espérait exécuter ce voyage paisiblement et sans obstacle sérieux, en passant inaperçu, grâce à la réserve dont il était bien décidé à ne pas sortir. Malheureusement à Rangoun on avait ébruité ses projets : des amis trop zélés et peu discrets avaient parlé de ce grand dessein d’aller en Chine par un chemin si peu connu des Européens, et fréquenté seulement par les caravanes qui font le commerce entre la Chine et Birma ; il en avait même été question dans les journaux anglais de Rangoun. Le roi de Birma lit ces feuilles ; il fut donc parfaitement averti de l’arrivée et des plans de M. Bastian, si bien que notre voyageur entrait à Mandalay précédé d’une renommée fort embarrassante, et dont il ne se doutait pas le moins du monde. Les intentions de cet inconnu ne laissaient pas que d’inquiéter le roi ; il trouve, non sans raison, que les Européens ne connaissent que trop le chemin de son empire, et ne se soucie nullement de les voir pousser plus loin leurs découvertes géographiques dans des contrées qui peuvent, en cas de revers, servir encore de refuge à l’indépendance nationale. Ces peuples ne comprennent pas d’ailleurs la curiosité scientifique, et ils ne croient pas pouvoir surveiller trop attentivement ces étrangers d’Occident qui, en ayant l’air de se donner le passe-temps des voyages, ne peuvent sans doute avoir pour but que de satisfaire plus sûrement leur cupidité et leur ambition. Aussi ne sont-ils pas pressés de fournir de nouveaux alimens et de nouveaux champs d’activité à l’exercice de ce pouvoir surnaturel qu’on attribue si aisément aux Européens : en un mot, tout homme de cette race est un espion et un homme à espionner. M. Bastian était donc suspect, et au fond il ne fut guère traité qu’en suspect pendant tout le temps de son séjour à Mandalay.

Dès qu’il fut arrivé, les Arméniens auxquels on l’avait adressé lui offrirent l’hospitalité avec empressement ; mais M. Bastian, pour être plus libre dans ses mouvemens, surtout pour se mettre en contact immédiat avec l’élément birman et se familiariser avec la langue du pays, se vit dans la nécessité de refuser cette offre obligeante. Il fut néanmoins forcé de l’accepter provisoirement. Après de longues et infructueuses recherches dans la ville même, il se mit en quête d’un logis dans les environs, et fut assez heureux pour trouver dans un petit village appelé Kabain une maison convenable, adossée au mur d’un monastère. Dans ses promenades, il avait eu occasion de faire la connaissance du directeur de ce couvent, c’était donc un lieu très propice à ses études. Il y trouvait encore d’autres avantages, par exemple la proximité d’un