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et que les causes comme les conséquences d’une perturbation passagère subsistaient tout entières. Voilà ce que nous avons peu remarqué, et cela dans tous les partis. Des préoccupations de toute sorte, chez les uns l’arrogance de la victoire, chez les autres la douleur de la défaite, surtout la crainte d’encourir de nouvelles inquiétudes, ce besoin de ne rien savoir, de ne rien prévoir, pour n’avoir à prendre souci de rien, qui s’empare des sociétés éprises d’un énervant amour de repos, nous ont rendus quelque temps comme étrangers à l’Europe. Nous avons encore un peu de peine à comprendre ce qui y arrive, et nous montrons à certains spectacles un naïf étonnement. Il y a d’excellens esprits qui, par une rancune parfaitement concevable contre 1848 et toutes ses conséquences, ont dédaigné d’accorder une impartiale attention à tout ce qui a suivi cette date. Ils voudraient presque que tout ce qui s’est fait depuis lors ne comptât pas.

Cette exclusive fidélité à un seul point de vue n’est permise qu’à ceux qui introduisent dans les choses humaines un principe de croyance qui n’appartient qu’aux choses divines. Le légitimisme absolu, du temps qu’il existait, pouvait motiver cette indifférence systématique à tout ce qui n’était pas lui, cette immobilité au milieu du mouvement universel. Le représentant du dogme d’une incarnation politique qu’on appelle droit divin pouvait se figurer qu’il avait régné pendant dix-huit années d’exil ; mais ces fictions de la foi monarchique nous sont interdites, et nous ne devons pas nous mettre un bandeau sur les yeux pour ne pas voir ce qui nous déplaît. Les faits ne sont pas obligés de nous flatter. On dirait que les esprits honnêtes, mais faibles, ne croient pas qu’il puisse y avoir des principes stables, si tout n’est stable à l’avenant, et font abstraction de tout ce qui change, de peur de changer eux-mêmes. Or les convictions invariables doivent régler la conduite, mais non tyranniser le jugement et le rendre aveugle aux réalités qui l’entourent et le pressent. Nous nous devons à notre cause ; mais le monde est libre, et il fait ce qu’il veut.

D’ailleurs, examinées de près, ses variations sont moins grandes qu’il ne semble, et l’on peut, sans trop de difficulté, mesurer le cercle dans lequel il se meut. Quoique l’esprit du temps ait été bien souvent décrit, il est à propos de spécifier encore une fois les tendances politiques des sociétés européennes. Il faut qu’on n’ait pas assez dit ce qu’elles veulent, car, toutes les fois qu’elles en témoignent par des faits, on se récrie comme si l’on n’avait pas dû s’y attendre.