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la même somme de besoins. Jusqu’ici, les concessions analogues avaient été compensées par des perfectionnemens mécaniques ; mais le génie des arts a ses limites, et il serait imprudent de toujours compter sur lui. Le profit particulier des ouvriers aurait donc pour contre-coup une souffrance générale, ce qui ne serait ni politique, ni juste, ni sensé. Voilà pour l’effet matériel : reste l’effet moral, qui ne peut pas être assujetti aux mêmes calculs. Ce soulagement des bras profitera, dit-on, à la culture de l’esprit ; les heures devenues disponibles seront acquises à des études propres à élever chez les ouvriers le niveau intellectuel. Qui ne le voudrait croire et faire à cette certitude le sacrifice de toutes les objections ? Les faits sont là malheureusement : de ce que nous voyons, il n’est guère permis de conclure à ce qu’on nous promet. Dans le choix des cultures, ce n’est pas celle de l’esprit qui a le pas, et le cabaret tient dans les loisirs du peuple une plus grande place que l’étude. Ajouter à ces loisirs quatre heures de plus, ce serait courir de grandes chances. Rien de plus sain que le travail auquel l’homme est naturellement destiné. N’est-il donc plus la meilleure des écoles, et l’oisiveté le pire des pièges ? Entre le travail et l’épargne, il existe d’ailleurs une dépendance que ni le caprice ni la violence ne sauraient rompre. L’épargne représente le travail accumulé et multiplié par sa durée. A diminuer l’un de ces termes, la durée du travail, on s’exposerait sciemment à ce que l’autre terme, qui est l’épargne, décrût dans la même proportion. Or l’épargne, c’est pour la communauté une garantie de repos, pour l’ouvrier une rédemption, un pas de fait vers ce capital exposé à d’autant plus d’anathèmes qu’il excite plus d’envie. Aucun des documens émanés des ouvriers n’est exempt de ces déclamations contre le capital qui sont le cachet des écoles socialistes. Le capital est toujours ce vampire qui s’attache jusqu’à l’exténuation aux veines des pauvres gens. Ces aménités littéraires sont restées les mêmes ; il n’y a de changé que les expédiens pour réduire l’ennemi à merci. Ceux d’autrefois ont paru trop sommaires, trop simples ; on en a imaginé de plus ingénieux, de plus raffinés. On a mis de côté par exemple tout ce qui, sous des déguisemens variés, avait un air de famille avec la jouissance en commun précédée de la spoliation. On a renoncé également à cet autre communisme qui consistait à dépouiller le capital de la propriété qu’il à de produire un revenu. Quelques obstinés restent, il est vrai, fidèles à la tradition du crédit gratuit ; mais leur voix a peu d’échos. Ces épouvantails appartiennent à l’enfance de la tactique socialiste : leur temps est passé. Au lieu d’attaques à découvert, qui trouvaient toujours le capital sur ses gardes, il s’agit aujourd’hui de blocus insidieux, qui à la longue et de guerre lasse l’obligeraient à changer de camp. De la bourgeoisie il passera alors au peuple, et ce sera son jour de