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connaissait si bien. Je dois dire de même qu’avant MM. Bunsen et Roscoe plusieurs physiciens avaient songé occasionnellement à mesurer l’intensité des radiations chimiques du soleil. C’est M. John W. Draper, de New-York, qui a le premier abordé ce problème avec quelque succès vers 1842. M. Draper a imaginé un instrument qu’il appelle tithonomètre, du nom du vieil époux de l’Aurore. Le tithonomètre devait mesurer l’énergie variable des radiations chimiques par l’effet qu’elles produisent sur un mélange à volumes égaux de chlore et d’hydrogène, mélange qui se liquéfie en formant de l’acide chlorhydrique lorsqu’il est exposé à la lumière. L’expérience n’est pas sans danger, car les deux gaz se combinent avec une violente détonation, si la lumière les frappe trop brusquement ; mais, si on prend soin de modérer convenablement l’accès de la lumière, la combinaison a lieu sans bruit, et la quantité d’acide qui se forme peut faire connaître l’intensité des rayons chimiques. Ce procédé repose sur un raisonnement très plausible et qui s’est trouvé parfaitement juste, comme nous le verrons tout à l’heure ; mais il y a loin de l’énoncé d’un principe à l’application qui le réalise complètement. M. Draper a conçu la possibilité de mesurer la lumière par la synthèse photochimique de l’acide chlorhydrique ; MM. Bunsen et Roscoe ont su réaliser les mesures.

Les fondemens des sciences d’observation sont faits de travaux dont le mérite est tout entier dans les détails minutieux que le vulgaire méprise. Il faut parfois, si l’on veut découvrir la loi d’un phénomène, s’entourer de précautions infinies, s’armer d’une patience à l’épreuve de mille échecs et recourir à des ruses comme un juge d’instruction. Le fait dont on veut s’emparer semble alors se cacher à plaisir sous mille déguisemens pour vous glisser entre les doigts comme le Protée de la fable, dieu infaillible et véridique, mais qu’il faut enchaîner pour le faire parler. Vous croyez le tenir, il vous échappe ; vous le tenez et vous ne vous en êtes pas aperçu. Ingéniez-vous à le surprendre :

Quo teneas vultus mutantem Protea nodo…

Éliminer les erreurs d’observation qui se glissent partout doit être la constante préoccupation de l’expérimentateur, surtout lorsqu’il aborde un terrain nouveau et encore inexploré. C’est à l’oubli de cette règle élémentaire et à l’insouciance naturelle de beaucoup de gens pressés de produire que nous devons tant de travaux qui encombrent les recueils et les traités en attendant qu’une critique sérieuse vienne les balayer. C’est là aussi qu’il faut chercher la source de ces interminables discussions où les adversaires ressemblent à deux aveugles armés de bâtons et frappant en l’air ; chacun d’eux a vu ce qu’il a vu, mais ils ne savent pas se rendre compte des erreurs d’observation inhérentes à leurs méthodes. Un travail de longue haleine tel que celui qui a été publié par MM. Bunsen et Roscoe est hérissé des détails les plus fatigans, parce qu’il faut assurer chaque pas à mesure qu’on avance, afin de ne laisser aucune prise à l’erreur ; ces détails sont