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perde jamais pied. Elle est chose toute terrestre ; son royaume est de ce monde.

Le danger de faire un choix entre les grands intérêts qui agitent aujourd’hui tous les peuples est bien connu. Si l’on s’attache exclusivement aux intérêts de pure liberté, on a choisi la meilleure part ; mais elle peut vous être enlevée, et vous restez comme isolé au milieu de la multitude, qui ne cesse pas toujours de se passionner pour le reste. Si au contraire on sacrifie les questions de liberté à ces autres questions de dynastie, d’égalité civile, de fusion nationale, d’amélioration matérielle, on s’expose à décliner peu à peu vers ces systèmes d’absolutisme auxquels l’histoire romaine a prêté un nom classique. On finit par se contenter d’être délivré de l’ancien régime, n’importe à quel prix. C’est le danger auquel l’Allemagne doit prendre garde ; c’est le piège où la démocratie est sujette à se prendre.


III

Ce qu’on vient de lire peut servir à expliquer la diversité d’appréciations à laquelle ont donné lieu de grands événemens de date toute récente. En dérangeant bien des partis-pris, en contrariant bien des espérances, en démentant bien des pronostics, ils ont suscité jusque dans le monde libéral une dissidence qui menaçait d’être un déchirement. Ils pouvaient cependant être prévus, non qu’ils fussent inévitables, mais ils provenaient de causes connues, et qui, surtout depuis 1848, devaient notoirement, dans un avenir plus ou moins prochain, changer quelque chose en Europe. Cependant une détermination prise à propos en pouvait modérer et surtout ajourner les effets, et du moins en observant et prévoyant mieux nous pouvions éviter cet air de déconvenue et de mauvaise humeur qui n’est jamais de mise en politique. Rappelons-nous en effet dans quel état les convulsions de 1848 avaient laissé l’Europe. Tout était refroidi. Les insurrections qui avaient bouleversé des capitales, Vienne, Berlin, Rome, Milan, Venise, étaient depuis longtemps réprimées. Le parlement de Francfort, qui sur les ruines de la confédération germanique avait offert au roi de Prusse l’hégémonie et l’empire même, celui d’Erfurt, qui avait fait le premier essai de l’union restreinte qu’on prépare aujourd’hui, étaient dissous, ainsi que les deux ou trois assemblées prétendues constituantes qui avaient révélé sans les guérir les maux de l’Allemagne. Les aspirations unitaires ne s’étaient pas évanouies cependant ; malgré des rapprochemens apparens, l’antagonisme de la Prusse et de