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Cholen était toujours le siège principal de ses opérations, bien que chaque village eût aussi un contingent chinois maître du trafic de détail. Le choix seul de cette position donnait la preuve d’un grand sens pratique, car elle est le centre de la toile d’araignée formée par les innombrables cours d’eau qui sillonnent le pays, en même temps qu’elle est sur la route commerciale de Mytho à Saigon par les arroyos intérieurs, voie obligée de tous les produits du Cambodge. Cholen n’est d’ailleurs qu’à 5 kilomètres de Saïgon. Cette proximité nous permit de protéger aisément les richesses de tout genre qui se trouvaient accumulées en ce point à la merci des hasards de la guerre, et les Chinois s’en montrèrent reconnaissons en ralliant des premiers notre domination, dès qu’ils eurent surmonté le sentiment instinctif de défiance que fait toujours éprouver la venue de ce qu’on ignore. Ils comprirent quel aliment notre présence offrirait à leur activité, et surtout quels développemens pourraient prendre avec nous les exportations si entravées par les règlemens annamites. De notre côté, nous reconnûmes combien nous seraient utiles ces étrangers qui possédaient de longue date la confiance des indigènes, qui parlaient leur langue, et que leur intérêt appelait naturellement à jouer le rôle d’intermédiaires entre eux et nous. Le résultat fut que, loin de souffrir de notre occupation, même au début, Cholen en reçut au contraire une impulsion nouvelle, et se vit transformée en peu d’années. C’était avant 1860 un amas de ruelles étroites et fétides, assez semblables aux campongs de Batavia ou de Manille. C’est, aujourd’hui une ville dont l’aspect à demi européen montre que l’attachement du Chinois à ses mœurs et à ses usages n’exclut pas l’intelligence de certains progrès de la vie matérielle. Les rues sont spacieuses, bien percées, bordées de maisons pour la plupart recouvertes en tuiles, signe infaillible de richesse, et les couleurs éclatantes des dessins qui ornent les devantures donnent à l’ensemble du tableau une physionomie originale que l’on chercherait en vain dans les autres colonies chinoises de l’extrême Orient. On y voit même des fontaines, luxe inconnu jusque-là en Cochinchine, d’élégans réverbères en fonte venus de France et des trottoirs. Les quais, reconstruits à nouveau, sont larges, et ils offrent l’aspect le plus animé, car le mouvement, autrefois dissimulé au fond de vastes cours, s’y étale maintenant en plein soleil. Au mois de mars de chaque année, la fête du Dragon est célébrée en grande pompe en l’honneur de la déesse de la mer et des navigateurs ; on ne dépensa pas moins de 100,000 francs en 1865 pour la mise en scène de la procession qui se pressait à la suite du monstre, dont la soie et le carton reproduisaient la figure classique. Malgré leur