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cultivé dans le silence, conduit inopinément, avec la vitesse de l’éclair, à une conception féconde ; mais le poète qui s’est exprimé jusqu’ici presque dans les mêmes termes que devait employer plus tard le physiologiste, reprend ses droits : « C’est une révélation qui se développe de l’intérieur à l’extérieur, qui fait pressentir à l’homme sa ressemblance avec la divinité. C’est une synthèse du monde et de l’esprit qui nous donne la plus délicieuse assurance de l’éternelle harmonie de l’être. » Ce sens intuitif peut arriver dans certaines natures privilégiées à une sorte d’identité momentanée avec la réalité. Ce que M. Claude Bernard n’avance qu’avec précaution et non sans quelque embarras, Goethe n’hésitait pas à l’affirmer. Selon lui, il n’est pas douteux qu’il existe dans le sujet, l’esprit humain, des idées qui répondent à des lois encore inconnues dans l’objet, la nature. Le génie consiste à découvrir cette loi cachée dans les profondeurs muettes des choses, et dont il porte en soi la formule encore inaperçue.

Je ne sache pas d’hommage plus éclatant à la fécondé spontanéité de l’esprit, à son activité créatrice, que cette théorie de l’invention scientifique, confirmée par les plus célèbres représentans de l’école expérimentale. L’esprit est donc capable de ravir par une conception heureuse les secrets enfouis au cœur de la nature, d’interpréter par anticipation, avant l’expérience, les grandes lois qu’elle nous dérobe sous la trame mêlée des phénomènes ! Il porte donc en lui le pressentiment de cette vérité objective qui n’est que l’idée du monde ! C’est un fait considérable que l’école expérimentale reconnaisse qu’il y a en nous l’intuition des rapports qui unissent entre eux les élémens de la multiple et mobile réalité. Sans doute elle nous impose des précautions infinies, des vérifications nombreuses, tout un appareil de sage contrôle pour nous préserver des entraînemens de l’idée à priori, pour dissiper à la pure clarté des faits toutes les illusions qui peuvent s’être mêlées à nos conceptions vraies. Il nous faudra un grand travail, de longues études sur la réalité avant qu’il nous soit permis de nous confier à ces conceptions à priori. Nous ne le pourrons qu’après que nous aurons transformé cette intuition, ce sentiment vague des choses en une interprétation à posteriori établie sur l’étude expérimentale des faits ; mais enfin c’est de nous, c’est de nos idées, c’est du fond intime de notre raison, c’est de l’activité féconde de notre esprit, que sort chaque découverte qui avance la science d’un degré, ou qui à certains instans la renouvelle. C’est le mouvement même de notre pensée qui se communique à toute la méthode et qui met en branle cet appareil si compliqué d’expériences et d’expérimentation d’où doit sortir la théorie, c’est-à-dire la science.