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C’est à peu près l’histoire des voyages de 1675 et de 1680. On n’a plus le temps de voyager si gaîment, de regarder, d’admirer, comme faisait Mme de Sévigné tout en pensant à sa fille, à ses affaires, à ses amis, à son fils, le jeune guidon des gendarmes de M. le dauphin.

C’est en 1644, année de son mariage, que Mme de Sévigné arrive pour la première fois aux Rochers, dans la fleur de la jeunesse et de la grâce, avec cette originalité de race qu’elle tient des Rabutin-Chantal, avec cet esprit que la pesante pédagogie de Chapelain et de Ménage n’a pu éteindre. Son mari, le marquis de Sévigné, avait tout ce qu’il faut pour séduire et pour ruiner le bonheur d’une femme ; il ne manquait pas d’esprit, il était de bonne noblesse, beau cavalier, bien fait, et en même temps léger, prodigue, libertin, querelleur. Il sortait d’un duel, où il avait été fort endommagé, au moment de se marier, et c’est un duel avec le chevalier d’Albret pour Mme de Gondran qui devait bientôt rompre cette union mal assortie. Un jour, bien plus tard, Mme de Sévigné, pressée par Bussy sur un mot qui lui était échappé, mettait lestement l’année de son veuvage prématuré au nombre des deux ou trois époques de sa vie qui avaient mérité de laisser une trace dans son imagination, qui lui rappelaient ses meilleurs souvenirs. Alors, à sa première apparition aux Rochers, 1644, elle était heureuse, elle en était encore à l’illusion de l’amour dans le mariage, et elle en jouissait avec cette facile et légère spontanéité d’une âme faite pour ne pas se désespérer, même quand les contre-temps viendront. Le dernier séjour de Mme de Sévigné dans sa chère retraite bretonne est de 1689. Entre ces deux dates, 1644-1689, qui embrassent toute une existence, presque tout le grand XVIIe siècle, elle renouvelle bien souvent le voyage en Bretagne. Elle s’y trouve notamment à l’époque où éclate la disgrâce de Fouquet, féconde en ennuis et en émotions pour elle ; elle y est en 1671, l’année des états de Vitré, en 1675, l’année des troubles, en 1680, en 1685 ; elle y passe l’été, le printemps, l’hiver ; quelquefois ces stations se prolongent jusqu’à dix-sept mois sans interruption, de sorte qu’on peut bien dire que cette solitude a gardé une partie de son âme et de son esprit, est pleine de son image.

Livry, la jolie abbaye de l’abbé de Coulanges, perdue au milieu de la forêt de Bondy, Livry a eu aussi, je le sais bien, le privilège de partager avec les Rochers les tendresses de Mme de Sévigné, de cacher toute une portion de sa vie intime. Là elle avait vu s’écouler les journées heureuses de son adolescence quand elle n’était encore que la pupille de l’abbé. Là, plus tard, elle allait passer quelquefois la semaine sainte ou même les jours gras ; là, quand Paris se