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joug d’un régime sévère comme celui d’Elisabeth et de Louis XIV, à la condition que la vitalité morale subsiste dans son intégrité ; mais quand cette vitalité est amortie, on sait mal faire parler des passions qu’on ne connaît que par ouï-dire, et l’on ne peut produire sur la scène les plus grandes figures d’un siècle où la force exubérante a plus d’une fois éclaté en violences sans leur communiquer quelque chose de la langueur dont le nôtre est atteint.

Ce qu’il y a de grave, c’est que M. Bouilhet relève, comme M. Vacquerie, d’une école qui se piquait naguère de force avant tout, et qui s’engageait, à remuer les gens bon gré mal gré, pourvu qu’on ne la chicanât point sur ses moyens d’effet. Le public est de longue date accoutumé à se montrer avec elle de bonne composition, et pour notre part nous serions prêt aux concessions les plus larges. Nous demanderions en revanche qu’elle nous prît un peu à la gorge, comme elle nous le promet. Elle n’a aucune raison d’être dès qu’elle n’y réussit plus. La pièce du Théâtre-Français nous a laissé aussi froid que celle de l’Odéon. Nous avons eu beau y chercher quelque chose, ce n’est pas notre faute si nous n’y avons rien trouvé, si ce n’est une comédie sans le plus petit mot pour rire, un drame qui n’est pas pathétique, un sermon qui n’est pas édifiant, une dissertation sur une thèse morale des plus contestables.

La pièce de M. Vacquerie est intitulée le Fils ; elle devrait s’appeler le « cas de conscience, » cas difficile, vous pouvez le croire, car l’auteur a mis tout ce qu’il a d’esprit à le rendre inextricable. Les casuistes de Pascal, qui avaient réponse à tout, s’y fussent repris à deux trois avant d’en donner une solution catégorique. C’est vous dire que la plupart des spectateurs, bonnes gens qui prennent les choses plus rondement, y perdraient leur latin, si l’auteur ne les tirait d’affaire par une de ces décisions tranchantes qui coupent court aux objections, et n’étranglait le bon sens entre deux nécessités bien dures, celles d’embrasser l’héroïsme ou de souscrire à l’infamie.

On comprendra sans peine que nous ne nous hasardions qu’en tremblant à élever quelques doutes sur l’intérêt dramatique du problème et sur la justesse de la solution. Le moyen de dire, sans nous faire jeter, la pierre, que nous regardons comme un sot l’honnête jeune homme qui est le héros de M. Vacquerie ? Il y a la de quoi nous attirer la réprobation des amis de l’auteur et de tous ceux qui apprennent la morale à son école. Cependant nous avons notre conscience aussi, et puisqu’il n’est, selon le mot de Tacite, pire abus que celui des bonnes choses, rien ne nous empêchera de déclarer qu’à notre avis c’est abuser par trop de la morale que de faire servir le respect qui lui est dû à ennuyer le public impunément, et de vouloir lier si bien la cause de la conscience à celle d’une mauvaise pièce, qu’on ne puisse siffler celle-ci sans avoir l’air de siffler en même temps la délicatesse et l’honneur.

M. Louis Berteau est un jeune homme d’une probité farouche, avocat