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faiblir la responsabilité de certains pouvoirs en la divisant. Qui louer ou qui blâmer dans un groupe d’individus que dérobe aux regards le nuage d’une solidarité factice, et qui se succèdent d’ailleurs aux affaires sans laisser aucune trace distincte de leur passage? Dans un pays où l’opinion publique est souveraine, elle a besoin de traiter avec des agens de l’autorité en chair et en os, et non avec des ombres qui, comme les divinités d’Homère, disparaissent dans un brouillard au moment où l’on va les toucher du bout de la lance. Plus que d’autres comités du même genre, l’amirauté a-t-elle trouvé grâce devant les attaques d’une presse libre? Non certes; l’indignation fut grande chez nos voisins quand le premier lord de l’admiralty, sir John Packington, vint dernièrement déclarer devant les chambres qu’il avait à peine dans la réserve quelques vaisseaux capables d’être immédiatement lancés à la mer. Le pays se souvint amèrement des 70 millions de livres sterling qui avaient été dépensés depuis sept ans pour accroître la flotte de l’état, et des cris d’alarme partirent de tous les coins de la Grande-Bretagne. Il y a sans doute quelque exagération dans plusieurs des commentaires auxquels cette déclaration du ministre a donné lieu, et je plaindrais l’étranger qui croirait tout à fait sur parole nos voisins mécontens de leurs affaires. Les Anglais, en ce qui regarde les intérêts de leur pays, ressemblent à ces maris qui grondent volontiers contre leur intérieur, mais qui ne permettraient point à d’autres d’en dire du mal. Toujours est-il que l’état présent de la marine britannique ne répond nullement ni aux espérances que l’on avait conçues, ni surtout aux sacrifices d’argent qu’on a prodigués dans ces dernières années. Chaque nouveau ministre arrivant aux affaires tient à peu près le même langage que sir John Packington. Est-ce pour jeter une défaveur sur l’administration à laquelle il succède? Je ne le crois point : tout annonce plutôt que la marine anglaise souffre d’un mal chronique. En dehors même des fautes de l’amirauté, diverses causes expliquent assez bien qu’elle traverse une période de crise et d’incertitude.

Un observateur attentif n’aurait point été indifférent à ce qui se passa, il y a quelques années, sous le ministère même de lord Palmerston. On se souvient que le gouvernement anglais proposa pour la première fois d’élever sur les bords de la mer de grands ouvrages de défense, et obtint des chambres de larges sommes pour mettre à exécution son dessein. Des remparts, et pourquoi? Les Anglais du dernier siècle avaient dédaigné de fortifier leurs côtes, jetant ainsi au monde entier le défi de les atteindre, a Les mers, disaient-ils, voilà notre champ de bataille, et depuis l’amiral Ruyter qui oserait se vanter d’avoir forcé sous un pavillon ennemi l’embouchure