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avait tenue avait toujours été des plus conciliantes. Il n’était pas libre toutefois de se départir de ce qu’exigeaient en cette circonstance non-seulement les prescriptions des canons, mais encore l’intérêt même de l’église de France. « Ah! oui, je le sais, s’écria Napoléon, c’est là le sentiment de vos prêtres, qui à force de sophistiqueries théologiques gâtent les affaires au lieu de les arranger. » L’entretien dura ainsi plus de deux heures sans avancer d’un pas. Tantôt le premier consul s’exprimait avec amertume, tantôt il exposait avec sang-froid et toute son éloquence naturelle la conduite qu’il croyait, suivant ses maximes, la plus propre à conjurer les dangers dont étaient menacés le repos public et cette grande œuvre du rétablissement de la religion, qui lui avait, disait-il, coûté tant de peine[1]; mais le cardinal ne se rendit pas. Assurant, avec force protestations, qu’il ne pouvait, sans manquer aux principes catholiques, tenir une conduite différente, il lit présenter au premier consul par Mgr Sala une copie de la formule proposée aux évêques, comme pouvant servir à la réconciliation des prêtres de leurs diocèses. « Certes il était impossible, fit-il remarquer à son interlocuteur, d’employer des expressions plus adoucies, mais aussi était-il également impossible de s’en départir. » Ces derniers mots parurent blesser vivement le premier consul. « Eh bien! si décidément vous soutenez ne pouvoir faire ce que je tiens pour indispensable au bien de la religion et du peuple français, dont une grande partie est dans l’alarme et presque sens dessus dessous, rien ne vous retient plus en France. Il reste encore onze évêques à nommer, et grâce aux sophistiqueries romaines et théologiques ce seront autant de constitutionnels. » Cela dit, il congédia le cardinal Caprara et Mgr Sala.

L’opposition imprévue du cardinal Caprara et ses scrupules incommodes bouleversaient de fond en comble les desseins du premier consul; mais il n’avait pas oublié comment, dans une circonstance toute semblable, il en avait assez aisément triomphé, et tout de suite il résolut d’employer, sans y rien changer, les mêmes moyens qui lui avaient déjà si parfaitement réussi. Cette fois ce fut l’évêque de Vannes qui fut chargé d’ouvrir la marche et d’aller le premier jeter le trouble dans l’imagination déjà si fortement ébranlée du pieux légat. M. de Pancemont était porteur d’une lettre de M. Portails qui reproduisait, comme d’habitude, en termes beaucoup plus calmes et dans un langage infiniment plus mesuré, les mêmes raisons et les mêmes menaces qui, la veille, dans la bouche de Napoléon, n’avaient pas suffi à persuader le représentant du saint-siège. « Éminence, tout est en combustion, lui dit l’évêque

  1. Le cardinal Caprara au cardinal Consalvi, 13 juin 1802.