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pauvre faiblesse humaine que celui dont se sentait chargé l’honnête et saint vieillard qui se tenait en toute sincérité, dans des circonstances aussi menaçantes, pour le directeur nécessaire d’une église divisée et de tant de consciences catholiques en détresse. Naturellement humble d’esprit et de cœur, Pie VII en était horriblement troublé. A défaut du chef du gouvernement, auquel il eût préféré confier ses douleurs, Pie VII s’adressait à son ministre à Rome, et le prenait avec candeur pour confident de sa triste situation. « Sa sainteté m’a dit l’autre jour, écrit M. Cacault : Nous voudrions ne jamais rien refuser aux désirs du premier consul; mais, par grâce, qu’on ne nous jette pas hors des bornes de ce qu’un pape peut permettre... Ce que nous avons fait à l’égard de la France était nécessaire et sera pour nous un mérite devant Dieu; mais le souverain pontife est le conservateur et le gardien des lois et des règles de la religion catholique. Nous ne voudrions pas troubler le monde en nous mettant en hostilité avec les autorités temporelles qui abrogent les institutions religieuses, mais nous ne saurions non plus être le premier pape qui agirait contre les principes de notre foi[1]... » Pour faire connaître les véritables sentimens du saint-père, rien de mieux que de laisser pour un moment la parole à M. Cacault. Ses opinions ne sauraient être suspectes; il jugeait avec perspicacité ce qui se passait sous ses yeux et en rendait compte avec franchise, lorsqu’il écrivait à M. de Talleyrand : « La cour de Rome s’aperçoit bien de ses énormes pertes dans tous les pays catholiques... Elle n’est plus en état de déclarer la guerre à personne par des excommunications. Elle laissera donc faire partout ce qu’on voudra; mais si on lui demande son concours pour des choses contraires à ses maximes fondamentales, pour des mesures subversives de l’ordre de choses qui fait son existence et des lois qui tiennent unis par les mêmes liens tous les membres du clergé catholique, elle s’y refusera en vertu du droit naturel que chacun a de ne pas s’égorger soi-même, et par l’effet de la crainte secrète qu’auront toujours les papes de voir s’élever, contre des décisions qui seraient trop philosophiques, une partie considérable des peuples restés attachés aux règles et aux institutions anciennes[2]. » — « Il ne faut pas, avec cette cour, en être esclave, ni faire le savant dans les matières théologiques, parce qu’alors tout dégénérerait en discussions interminables. Il ne faut pas non plus attaquer le système et renverser les règles au point qu’on ne se reconnaîtrait plus. C’est par un mélange de respect pour les principes de la religion et de fermeté dans

  1. Dépêche de M. Cacault, 29 juillet 1802.
  2. Ibid.