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férer les droits civils aux esclaves émancipés. La première de ces mesures avait un caractère purement provisoire. Il s’agissait, on ne l’a peut-être pas oublié, de maintenir aussi longtemps que le besoin s’en ferait sentir cette institution à la fois militaire, administrative, judiciaire et politique du bureau des affranchis, qui s’était attribué une sorte de juridiction exclusive sur les anciens esclaves, et leur donnait militairement la protection que leur refusaient encore les lois des états du sud. Cette administration coûtait cher; mais, malgré les abus, les violences, les dilapidations et tous les défauts inséparables du pouvoir arbitraire, elle était devenue nécessaire et devait être maintenue à tout prix jusqu’au jour où les droits civils et judiciaires des affranchis seraient reconnus pleinement par leurs anciens maîtres. Il y avait bien dans le bill voté par les deux chambres quelques dispositions de détail qu’il eût été bon de faire disparaître; mais M. Johnson, on se le rappelle, ne voulut pas condescendre à traiter avec ses adversaires : il ne daigna même pas demander la révision du bill. Il se retrancha majestueusement dans sa prérogative présidentielle, et lança brutalement son veto. Le second vote lui fut d’ailleurs favorable, et les radicaux ne purent réunir dans le sénat les deux tiers de majorité nécessaires pour annuler son interdiction.

L’amendement constitutionnel était plus juste et plus utile encore[1]. La constitution, qui faisait reposer la représentation nationale sur la population des états, avait accordé aux états du sud un privilège : elle faisait entrer les esclaves dans le compte de la population électorale, les évaluant à trois cinquièmes de leur nombre véritable, de sorte que la représentation des états du sud était proportionnellement plus forte que celle des états du nord. C’était une concession faite aux maîtres d’esclaves du temps où l’esclavage était une puissance politique, mais qui n’avait plus de raison d’être du jour où l’esclavage était aboli. Il était à la fois injuste et dangereux qu’une population à laquelle on refusait obstinément les droits politiques et même les droits civils servît à grossir l’influence des esclavagistes et à multiplier le nombre de leurs voix dans les conseils du pays. Il ne pouvait se faire que des insurgés vaincus rentrassent dans le gouvernement qu’ils avaient voulu détruire avec une puissance proportionnellement supérieure à celle des états restés fidèles. Si les représentans du sud voulaient maintenant reparaître dans le congrès des États-Unis, il fallait de deux choses l’une : ou bien que la population électorale fût mise au niveau de la représentation de chaque état, ou bien que la représentation elle-même fût réduite au niveau de la popu-

  1. Voyez la Revue du 1er avril, Huit Mois en Amérique.