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s’uniront pour l’exiger. Ce sont les discordes intérieures du gouvernement qui les enhardissent; c’est à Washington qu’il faut les vaincre dans la personne du président.

Ils sont d’ailleurs beaucoup moins terribles qu’on ne l’imagine. Ils peuvent encore murmurer, s’agiter, s’insurger même, causer au gouvernement des embarras graves : ils ne sauraient lui faire courir un vrai danger. Leur organisation militaire est détruite, et la confiance qui faisait leur force est à jamais perdue. Ils sentent eux-mêmes confusément qu’ils sont à la discrétion des états du nord, et qu’il faut bien se garder d’irriter l’ennemi victorieux. Un Américain qui a voyagé cette année dans tout le pays rebelle raconte une scène curieuse qui s’est passée sous ses yeux à Mobile, et qui prouve combien est abattu l’orgueil confédéré. Un général de l’armée fédérale passait par la ville, et une musique militaire était allée, suivant l’usage, lui donner une sérénade sous ses fenêtres. On jouait cet air fameux de Dixie, devenu pendant la guerre le chant national des rebelles, et rendu depuis la paix au culte des anciens dieux. Une foule de curieux stationnait dans la rue. Les têtes s’échauffaient aux accens de cette musique guerrière qui réveillait le souvenir de bien des scènes pareilles, et par un reste d’habitude machinale on proféra quelques cris de « hurrah pour Stonewall Jackson ! » Cet hommage inattendu rendu à la mémoire du preux chevalier de la rébellion, à la barbe même d’un général de l’armée des États-Unis, avait assurément quelque chose de séditieux ; mais tout à coup un soldat ivre qui se trouvait là, sans armes, au milieu de la foule, monte sur une borne et s’écrie avec un gros blasphème qu’il tuera l’homme assez hardi pour parler ici de Stonewall Jackson, a ou de tout autre Jackson. » Le bruit se calma comme par miracle, et personne n’osa plus souffler mot. Il suffisait d’un uniforme pour imposer silence à toute une multitude émue par de poignans souvenirs.

Le sud restera faible aussi longtemps que les forces du nord ne seront point divisées, aussi longtemps que le grand parti unioniste qui a soutenu la guerre restera maître du pouvoir fédéral. Il ne deviendrait puissant et redoutable que le jour où quelque faction décriée, comme l’ancien parti démocrate, ou quelque homme d’état ambitieux, comme le président Johnson, exploiterait ses rancunes. C’est pour prévenir le danger d’une pareille alliance que le congrès a voulu réorganiser les états du sud avant de leur rendre le pouvoir politique. L’adoption préalable de l’amendement constitutionnel est une précaution nécessaire contre le complot ourdi cette année par le président avec les rebelles. Qu’une fois les protégés de M. Johnson arrivent sans conditions au Capitole, et le lendemain on verrait peut-être cet homme ambitieux et vindicatif les