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« Je ne vois pas comment je puis après cela me confier à la bonne foi. Je me vois au contraire forcé de mettre des bornes à la complaisance dont j’ai fait usage jusqu’ici, de songer plutôt à ma propre sûreté et au salut de mes états, et par conséquent de refuser rondement les postes de houlans au travers de mes états comme une chose de mauvaises suites, de sorte que l’on ne doit plus y penser… J’espère que ce sera la dernière lettre que vous m’écrivez, car depuis les procédés peu aimables de votre cour il ne me reste que le droit de l’épée. On abuse étrangement de ma modération. Si l’on me pousse à bout, je ne réponds de rien. Et ceux qui me bravent et me trompent grossièrement à présent pourront bien avoir lieu de s’en repentir… Mais il faut tout sacrifier à la cour devienne, et l’on s’aveugle parce que l’on ne veut point voir. Je m’en lave les mains. Voici la dernière réponse que vous recevrez de moi. »


C’est à Dresde même que Frédéric écrivait cela, à quelques pas du palais où commençait l’agonie de sa captive. La pauvre femme s’éteignait, dévorée par la douleur et la honte. Pendant les terribles épreuves des mois de septembre et d’octobre 1756, sa fille Marie-Josèphe, la dauphine de France, la mère de Louis XVI, avait éprouvé de si violentes émotions qu’elle en fit une fausse couche[1] ; on devine ce que la reine de Pologne devait souffrir sous ce droit de l’épée dont parle le conquérant. Ne semble-t-il pas qu’il y ait ici comme une image anticipée de la captivité du Temple ? Ses humiliations durèrent plus d’une année. Que d’épreuves, que d’angoisses depuis le mois de septembre 1756 jusqu’au mois de novembre 1757 ! Tantôt on chasse de son palais, on exile de Dresde et de la Saxe ses plus fidèles serviteurs, tantôt on prétend l’obliger elle-même à quitter sa résidence ; on veut la renvoyer en Pologne, errante par les chemins, au milieu des hasards, dans ces pays que désole la guerre, et c’est à grand’peine que la maladie dont elle va mourir la protège contre ces ordres barbares. Sa vie est surveillée de près, sa correspondance doit passer sous l’œil de la police, elle est contrainte d’employer la ruse pour dépister les inquisiteurs. Si elle écrit au roi son époux, c’est dans la langue des chiffres ; si elle reçoit des lettres intimes de la cour de Pologne ou de la cour de France, c’est que des voyageurs se seront chargés de les lui remettre. Elle apprit ainsi en octobre la naissance de son petit-fils le comte d’Artois, celui qui devait provoquer la France nouvelle en 1830 et s’en aller mourir à Holyrood. Atteinte au plus profond de son âme, elle déclinait de jour en jour. Le 16 novembre, dans la

  1. « Madame la dauphine, qui a été vivement pénétrée du malheur de la Saxe et des traitemens que souffre la reine de Pologne sa mère, a fait une fausse couche de quatre mois, dit-on. On a fait dire à l’ambassadeur du roi de Prusse de ne point paraître à Fontainebleau… » Barbier, octobre 1756.