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nous y faire pénétrer, de le placer au pied du Caucase, puisque c’est la région où la vraisemblance géographique le fait apparaître, et d’y introduire des personnages doués des éternelles aspirations et assujettis aux éternels appétits de l’homme. D’ailleurs le plus grand nombre des personnages de ce livre appartient au monde qui a survécu. Alliés, voisins ou ennemis des Atlantes, ils ont le droit de représenter les mœurs, les idées, les costumes, les croyances des peuples qui ont laissé non-seulement des traces confuses de leurs origines, mais des témoignages éclatans de leur existence.

Selon nous, Maurice Sand a tiré de ce sujet un parti des plus heureux. Il a su être intéressant, dramatique et amusant en peignant des sites, des monumens, des êtres qui ont leur physionomie réelle au sein d’un milieu fantastique. On en jugera par une rapide analyse.

Disons d’abord que l’auteur place son récit dans la bouche d’un narrateur relativement moderne, un certain Psammos, qui occupe une des charges de l’empire à Trébizonde sous Valentinien. Psammos s’est trouvé en rapports fréquens avec les prêtres et les mages de l’Arménie et de la Chaldée, qui prétendent descendre des Atlantes. Depuis dix ans, il parcourt l’extrême Orient de l’empire romain, les monts Caucase ou de Kaf, la Colchide ou pays de Cos, la Chersonèse taurique, les bords du Palus-Meotis, les rives de l’Hypanis et du Tanaïs. Il est convaincu que « ces contrées firent jadis partie de l’Atlantide dont l’île principale est maintenant au fond du Pont-Euxin. » Il est curieux et très érudit pour son temps. Il a lu avec amour tous les auteurs qui parlent de l’Atlantide ; il a peut-être surpris, sans vouloir avouer son sacrilège, quelques indices dans les archives sacrées des mages ; enfin il a « recueilli, dit-il, assez de fragmens et de légendes ayant rapport à cette antique civilisation, » pour se croire capable « de recoudre une fable dont par la suite les héros sont devenus des dieux chez les peuples issus des races échappées au désastre. » « Tel, ajoute-t-il, Satourann, qui doit être Saturne, — Bolkaï, Vulcain ; Thor, divinisé chez les Scythes, Némeith, le père de la race celtique, etc. C’est assez te dire, ô lecteur, que ce récit est antérieur à ce que nous connaissons de plus ancien. »

Voyons le récit attribué à ce Psammos.

L’Atlantide est la terre des prodiges qu’enfante la richesse. On croit voir l’agglomération des satrapies d’Orient sous la pression d’un prince absolu. La corruption règne sur ce monde gorgé d’or, et son roi Satourann est le type de la ruse et de la cruauté. Hemla est la fille unique de ce roi des rois. Elle a seule survécu aux quatorze enfans nés du mariage de Satourann et de Bahavani. Pour préserver ses jours, sa mère l’a fait sacrer ziris, c’est-à-dire euménide, vouée au culte du feu. Par ce vœu, Hemla est fiancée au redoutable Ptah, le dieu des feux souterrains, qui réside dans le temple Atanor, merveilleux édifice bâti ou plutôt forgé par les cyclopes du roi sur le cratère même du volcan, au centre de l’opulente cité de Sisparis, capitale de l’Atlantide. Ptah, malgré ses rugissemens et ses flammes, est adoré comme