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journaux, n’ont pas imité d’autre modèle que Weber. Fière table de résonnance que le papier d’imprimerie pour les doigts d’un compositeur d’opéras et de symphonies! et la spéculation n’a point, que je sache, si mal tourné. En passant, constatons à ce sujet un fait singulièrement caractéristique : les écrivains, voyant venir chez eux les musiciens, leur ont de belle humeur ouvert les rangs. « Vous voulez écrire, messieurs, à votre aise, écrivez! » Les musiciens passeraient-ils si galamment la plume aux écrivains, s’il leur plaisait de faire de la musique? Je me refuse à le croire, et j’invoque à l’appui de mon scepticisme ces cris de paon écorché vif qu’on entend sortir de la haute et basse-cour chaque fois qu’un écrivain autorisé d’ailleurs, mais n’ayant point fait ses classes au Conservatoire, se permet de juger un musicien et de vouloir mettre en pratique l’aphorisme si parfaitement judicieux de Jean-Jacques : « c’est aux musiciens à composer de la musique et aux philosophes d’en discourir! » Weber au moins ne connut pas ces petites rancunes de métier, ces grotesques jalousies de corporation. J’ai sous les yeux sa critique d’un opéra d’Hoffmann : impossible de montrer plus d’ingénieuse bienveillance; c’était cependant là le cas pour un maître tel que Weber de peser de tout le poids de sa science sur ce lettré, sur ce conteur d’histoires fantastiques, d’écraser l’intrus sous le faix d’un spécialisme de la force de soixante chevaux. Weber ne commit point cette ânerie, il ne dit pas comme Voltaire parlant de Rousseau : « Ce polisson qui se mêle d’écrire ! » Tout au contraire; « l’auteur des fantaisies à la manière de Gallot, de l’admirable étude sur Don Juan, remarque-t-il, l’homme qui a su pénétrer si à fond dans la conscience du génie de Mozart ne saurait, même en musique, dans un art qui n’est pas le sien, rien produire de médiocre. Trop de furie parfois, une impétuosité qui franchit les limites, mais du moins peut-on compter qu’entre ces limites ce n’est point le vide qu’il mettra. »

J’en demande bien pardon à Weber, mais ici la communauté de tendances l’égaré complètement. Esprit très passionné, — on n’est un grand polémiste, et il l’était, qu’à cette condition, — son romantisme exagère à ses yeux la valeur musicale d’un coreligionnaire en poésie, de même que plus tard son éloignement pour l’école italienne devait le faire outrageusement déraisonner sur Rossini. Hélas! c’est juste l’opposé qu’il faudrait dire pour être dans le vrai quand on parle de la musique d’Hoffmann. Cet homme qui a écrit sur la musique les plus belles pages qu’on puisse lire, qui a ouvert sur les chefs-d’œuvre de Gluck et de Mozart des échappées sans bornes, porté l’analyse jusque dans les plus mystérieuses vibrations de l’âme en présence d’une symphonie, Hoffmann