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qu’elles n’ont pas songé à fonder le bon gouvernement sur une liberté individuelle absolue. C’est pour cela encore que beaucoup d’esprits parmi elles rêvent toujours des associations sans liberté. Toutefois il y a une éducation des peuples comme des particuliers, et cette éducation se fait par les idées. C’est l’esprit de Dieu qui souffle sans doute où il veut, mais qui ne veut rien avec caprice et sans ordre, qui marque à chaque idée sa date et son échéance. Je le demande, où était l’idée de la liberté individuelle au commencement du XIIe siècle? À ce moment, la jeune commune de Florence arrivait à son émancipation. Comment affirma-t-elle sa liberté? Est-ce au nom d’un principe philosophique? En aucune façon, elle s’installa au milieu du monde politique d’alors, à un certain degré de l’échelle féodale, par des contrats, par des parchemins, par des sermens. Elle cessa d’avoir un comte ou un duc, et se mit elle-même à leur place; elle eut des vassaux, surtout dans sa banlieue, qui pour cela s’appelait il contado, et ceux qui l’habitaient reçurent le nom de contadini, qu’ils ont encore. Elle ne connut d’autre seigneur que l’empereur, et que pouvait être un seigneur qui demeurait si loin, qui venait si rarement, dont la présence durait si peu, le temps de lever une somme d’argent qu’on lui donnait en échange de quelque nouveau diplôme? Si c’était là en effet la seule liberté connue, il n’y a pas lieu de s’étonner qu’elle ne parût pas un bien commun imprescriptible, qu’elle ne fût même pas le droit de tous les hommes habitant dans les mêmes murs. Ce bien, on pouvait donc le perdre, et la commune rejetait de son sein ceux qui lui paraissaient infidèles ou dangereux à l’association. Quand les gibelins chassaient les guelfes ou les guelfes les gibelins, ils croyaient déchirer un contrat mal observé, non violer une loi naturelle et supérieure à tout contrat. Ce n’était pas à leurs yeux comme aux nôtres une énormité. Plaignons les Florentins d’avoir essayé dans un temps barbare les voies toujours âpres et difficiles de la liberté, mais soyons persuadés que tout autre peuple, dans le même temps, eût commis des fautes analogues.

Ainsi des erreurs de morale. Nous croyons que la morale varie dans une certaine mesure suivant le progrès des temps; mais admettre qu’elle change suivant les races nous paraît aussi contraire au bon sens qu’à la dignité humaine. En vérité, les Florentins auraient eu trop à se plaindre de la destinée, si l’air qu’ils respiraient, si le sang qui coulait dans leurs veines les eût voués fatalement aux doctrines machiavéliques. Quoi ! parce qu’ils étaient nés de l’autre côté des Alpes et de l’Apennin, parce qu’ils étaient catholiques (car M. Trollope confond leur race et leur religion dans une même injustice), les Florentins devaient avoir deux morales, l’une théorique,