Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 67.djvu/168

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mais, si par hasard il se trompe, combien une plaisanterie intempestive ajoute de mauvaise grâce à une erreur!

Est-ce un Robert, roi de Naples, ou quelque Picrochole qui s’en va soutirer de l’argent à la république comme un prodigue neveu à son oncle débonnaire? Que dire d’une majesté a qui met le magot dans sa poche, » et de la réflexion suivante : « bien que je ne puisse garantir que cette circonstance soit absolument consignée dans les chroniques, je crois pouvoir ajouter que sa majesté, à ce moment, dut mettre sa langue dans sa joue et cligner de l’œil à quelque noble chambellan qui était de service? » Si un roi de Naples est traité comme un Crispin, on ne sera pas surpris qu’un empereur d’Allemagne qui vend trop cher ses services soit comparé à un cabman, c’est-à-dire à un cocher de fiacre qui demande deux fois le prix de sa course. Naturellement la gaîté du savant écrivain n’épargne pas les souverains pontifes. Savez-vous pourquoi il y avait autrefois des anti-papes? C’est qu’il n’y avait ni Punch ni Charivari, car, s’il y en avait eu, les compétiteurs à la chaire de saint Pierre n’auraient pas manqué d’être présentés au monde et à la postérité sous la forme de deux mâtins pourvus d’une chaîne et d’un collier, tous deux traînés malgré eux par leurs partisans, tous deux poussés de force en avant, tous deux contraints de se saisir à la gorge en un combat qu’ils auraient bien voulu éviter. Je ne sais si M. Adolphus Trollope a senti le besoin de combler la lacune que faisait au moyen âge l’absence du Punch et du Charivari ; mais, hélas! c’est pourtant ainsi qu’on écrit l’histoire.

Je pourrais citer encore bien des échantillons de ce goût de trivialité que Carlyle, le premier, je crois, entre les Anglais, a introduit dans la gravité de l’histoire. J’aime mieux indiquer à quel état des mœurs il peut tenir. Soit que l’habitude de se gouverner par la parole ait eu pour effet de donner à l’éloquence anglaise tout le laisser-aller de la liberté, soit que la fréquence et la longueur des discours aient forcé d’y ménager des temps d’arrêt pour respirer et comme de petits repos pour l’esprit fatigué de pensées sérieuses, c’est un fait d’observation que les hommes d’état de ce pays mêlent volontiers la plaisanterie au langage des affaires. Au milieu d’un entretien des plus sérieux, ils vous échappent, ils s’amusent à quelque joyeuseté qui n’est ni cherchée quand elle éclate, ni repoussée quand elle se présente. Vous souriez peut-être avec dédain, croyant avoir affaire à un homme léger, ou vous entrez en défiance, prenant cette plaisanterie pour un faux-fuyant. Détrompez-vous, ce plaisant est un homme grave, ce persifleur est un caractère solide, et il vous le prouve en reprenant le plus naturellement du monde le fil de la discussion. La politique anglaise est comme la matrone romaine