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mens perdus et faisait beaucoup de bien autour de lui. Je me rappelle qu’il me montra un gnomon nouvellement établi devant sa maison, et que, par esprit de douce raillerie, il me pria de lui traduire les quatre mots latins qui entouraient le cadran demi-circulaire. C’était l’inscription de l’horloge d’Urrugne : vulnerant omnes, ultima necat. Il m’expliqua la légende et la commenta avec une tristesse et un charme que je n’ai point oubliés. Les vieillards du pays l’aimaient et à cause de sa bienfaisance l’avaient surnommé le saint; les jeunes gens s’en éloignaient et inscrivaient souvent des mots injurieux pour lui sur les murs de sa propriété. Je ne l’ai jamais revu, et depuis j’ai appris ce qu’il avait été. C’était le comte de..., ancien chef du cabinet noir sous la restauration.

Le gouvernement de juillet recueillit l’héritage que lui avaient légué les Bourbons; il continua de servir aux anciens agens secrets des postes le traitement qu’ils recevaient pendant la durée de leurs fonctions, et dans les comptes du ministère des affaires étrangères on trouve qu’en 1847 les fonds secrets payaient encore 60,500 fr. de pensions aux « employés de l’ancien cabinet noir. »

La période qui commence en 1830 est trop contemporaine pour que l’on en puisse parler en connaissance de cause. Les gouvernemens n’ont point l’habitude de livrer leurs secrets aux curieux qui les interrogent. Je suis donc réduit à raisonner par induction, car je n’ai aucun texte assez positif pour qu’il soit possible d’en tirer une conclusion sérieuse. De certains procès politiques où les correspondances saisies et lues à la poste servaient de base à l’accusation, on peut inférer que la royauté de juillet employa sinon régulièrement, du moins quand elle crut en avoir besoin, cette arme qu’on aurait pu croire brisée pour jamais; mais rien dans les révélations qui suivirent les journées de février ne vint prouver que le cabinet noir eût été rétabli d’une façon normale. Ce fut plutôt, je crois, un en-cas qu’une institution, et si l’on en usa, ce fut dans certains momens exceptionnels, qui paraissaient critiques ou dangereux.

Existe-t-il encore aujourd’hui?

Montaigne eût dit : Que sais-je? Et Rabelais : Peut-être !


Cependant je pencherais volontiers pour la négative, d’abord parce que le nombre inconcevable de lettres qui affluent chaque jour à l’hôtel des postes rendrait un examen préalable excessivement difficile, et ensuite parce que ce serait absolument inutile en présence de l’arrêt que la cour de cassation, toutes chambres réunies, a rendu le 21 novembre 1853. Par cet arrêt, qui a force de loi, la cour re-