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lui une surveillance très active, en vain il redoublait de perspicacité; le mystère demeurait impénétrable pour lui. Il était parvenu cependant à découvrir que ces renseignemens pleins de trahison partaient de la ville même qu’il habitait, et qu’ils étaient souvent transportés par ses propres agens. Le moyen qu’il employa pour connaître la vérité fut d’une violence sans pareille. Un jour que son courrier était parti chargé de ses dépêches, il le fit attendre près de la ville de T...., à un endroit mal famé du reste et volontiers visité par les coupeurs de bourse. Le malheureux courrier, qui venait de relayer, s’en allait au grand trot, sur le chemin qu’éclairait la lune, lorsqu’il reçut en pleine poitrine un coup de fusil qui le tua raide. Son sac de dépêches prestement enlevé fut remis à l’ambassadeur, qui, en l’inspectant, put se convaincre que le traître appartenait à son propre cabinet. Le secrétaire fut destitué sans bruit; on accusa les brigands d’avoir assassiné le courrier, on donna quelque argent à sa veuve, et l’affaire fut étouffée. L’auteur ou plutôt l’instigateur de ce meurtre a vécu parmi nous, fort honoré de tous; c’était un diplomate habile, et il est mort pair de France. Si secrète que fût tenue l’aventure, on finit par la savoir, et les gens habiles qui la racontaient disaient volontiers en terminant le récit : Certainement le moyen était excessif; mais, que diable! l’intérêt de l’état doit passer avant tout.


III.

L’établissement successif des chemins de fer amena une modification essentielle dans le transport des dépêches. Les grandes rapidités si admirées jadis nous feraient sourire aujourd’hui; les exigences se sont augmentées en raison directe des besoins, et les besoins se sont augmentés en raison directe des satisfactions qu’on leur donnait. Autrefois, dans les plus beaux temps de la direction de M. Conte, quatorze malles-poste attelées chacune de quatre chevaux menés à grandes guides quittaient Paris à six heures du soir, et allaient porter à la France entière les lettres et les journaux. Chaque matin, entre quatre et cinq heures, quatorze malles-poste apportaient à Paris la correspondance des provinces. Ce service était régulier, rapide, excellent. Il a disparu aujourd’hui et pour toujours. A la place de ces quatorze malles-poste qui traversaient nos rues au grand trot et parcouraient nos routes, où chaque voiture était tenue de leur céder le pavé, vingt bureaux ambulans partent de Paris, amarrés aux wagons qu’entraîne la locomotive: six employés, montés dans chaque bureau, utilisent le temps du voyage à trier les lettres, à les diviser en paquets destinés aux villes