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placer près de neuf cent cinquante. Celles que la poste est obligée de renoncer à remettre sont envoyées au bureau des rebuts définitifs.

C’est là, dans d’immenses pupitres fermés par un grillage en fil de fer, que dorment ces lettres embryonnaires qui n’ont pas eu la faculté d’arriver à la vie complète. Elles sont en assez grand nombre et composées de lettres refusées à cause de la taxe (c’est la majeure partie), de lettres absolument illisibles, de lettres dont les adresses sont trop incomplètes pour être comprises, et enfin de lettres qui n’ont aucune suscription. Si singulier que le fait puisse paraître, il n’en existe pas moins ; j’ai vu un tiroir plein de lettres, affranchies pour la plupart, dont on avait oublié de mettre l’adresse. Il y a des lettres dont la suscription est régulière, mais dont le destinataire est si loin qu’il a été impossible d’arriver jusqu’à lui, ainsi celle-ci : pour le bon Dieu, dans le paradis (ciel). Une fois apportées au bureau des rebuts, les lettres (non refusées à cause de la taxe) y sont ouvertes pour vérifier si elles ne contiennent pas quelque indice qui permette de les faire parvenir à destination ou de les retourner à l’expéditeur. Cette mesure donne d’excellens résultats, puisque sur 2,353,596 lettres tombées au rebut pendant l’année 1865, on est arrivé à en placer 961,595. On pourra s’étonner du chiffre considérable des rebuts, mais il diminuera singulièrement d’importance lorsqu’on remarquera qu’il se rapporte à un total de 311,095,000 lettres, et que beaucoup de personnes refusent les plis non affranchis.

La cause principale des rebuts est sans aucun doute la défectuosité des adresses ; les pauvres gens dont l’instruction n’a été que trop négligée commettent en souscrivant des lettres des bévues qu’on ne peut soupçonner. L’administration des postes leur est venue en aide d’une façon ingénieuse, et qui, à mon avis, mérite toute sorte d’éloges. Elle s’est entendue avec le ministère de l’instruction publique, et a fait distribuer dans les écoles primaires soixante-dix mille cahiers de modèles d’écriture qui contiennent, comme exemples, des adresses de lettres correctes et régulières. Vraiment il est difficile de pousser plus loin la passion du devoir, et il faut espérer que tant d’efforts généreux ne resteront point sans résultat. On comprendra facilement que, si la poste conservait indéfiniment tous les rebuts qu’elle recueille, l’hôtel central serait, au bout de peu de temps, encombré de la cave au grenier. Pour éviter cet inconvénient, on détruit au pilon les lettres de rebut, mais graduellement et dans des proportions déterminées par un règlement qui tient compte de toutes les conditions essentielles[1].

  1. On détruit au bout d’un mois plein, plus la fraction du mois pendant lequel elles