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que ce soit, sans avoir confié la lettre dont il est dépositaire à l’un de ses camarades, qui lui en donne un récépissé. Ce dernier alors prend en charge les dépêches jusqu’à ce que l’absent soit revenu et ait restitué le reçu après vérification. Chaque lettre est l’objet d’un procès-verbal particulier sur lequel sont relatés la date, le poids, la taxe, ainsi que le nombre, la couleur et la devise des cachets. Il faut reconnaître que l’administration des postes a fait tout ce qui était possible pour assurer la régularité de ce service, à la fois si important et si délicat. Quelle valeur représentaient les lettres que j’ai vues dans ce bureau lorsque je le traversais sans que ma présence ait fait seulement lever la tête aux employés? — On peut le dire avec une certitude presque positive. Le bureau central de Paris reçoit et expédie par an 82 millions de sommes déclarées et une énorme quantité de lettres chargées contenant des valeurs inconnues, mais dont on estime le montant à plus d’un milliard. C’est donc une somme de 2,964,383 francs que j’avais sous les yeux, garantie par une frêle enveloppe de papier et fermée par des cachets fragiles, faible défense contre une telle tentation. Certes les précautions ingénieusement prises par l’administration sont indispensables; mais la moralité des agens les rend superflues, de même que leur improbité les rendrait illusoires. Un simple rapprochement de chiffres prouvera de quelle estime et de quel respect sont dignes les hommes chargés de cette tâche, qui serait dangereuse pour toute vertu mal forgée. Le service des chargemens de l’hôtel des postes occupe vingt-trois employés commandés par un commis dirigeant, au traitement de 3,600 francs. L’ensemble des émolumens de ces vingt-trois agens représente 48,000 f., soit 2,087 francs par tête. Or le travail qu’exige la manipulation de ces 3 millions quotidiens qui passent dans ce bureau est rémunérée par la somme quotidienne de 131 fr. 50 c. L’écart est profond, si profond qu’il cause une surprise involontaire; mais ces hommes insuffisamment rétribués, dont le salaire parait dérisoire en présence de ce Pactole qui coule incessamment à travers leurs mains, restent impassibles, fermés à toute tentation malsaine, tant ils ont une haute idée de leurs fonctions, et tant ils portent loin le juste sentiment du devoir professionnel. Je les comparerais volontiers à ces dragons dont a parlé le moyen âge; ils gardent des trésors, les protègent et n’y touchent jamais.


V.

D’après tout ce qui précède, et si je suis arrivé à faire comprendre les avalanches de papier qui chaque jour s’abattent sur le bu-