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ordre, inconsidérément propagé par Weber, que le sage, l’académique Mendelssohn dut réagir.

Pareil reproche à faire à ces splendides ouvertures, qui sont la fête de nos concerts en même temps que le plus fâcheux des modèles. Que devient la forme en tout cela? Mozart, Beethoven, composent des ouvertures; depuis Weber, on se contente généralement d’écrire des pots-pourris. Une suite de tableaux juxtaposés, d’idées pittoresques que relie entre elles la reprise du motif principal, voilà tout le programme. Je laisse à penser ce qu’un tel art a pu produire aux mains de l’imitation et de la routine. Weber est un génie, un prestigieux remueur d’idées; mais de sa forme, il n’en faut point parler. Comparez ses finales à ceux de Mozart d’une si large, si solide architecture! Son éducation première avait trop rayonné, bifurqué. Tout enfant, il dessinait, peignait; un moment il voulut avoir inventé la lithographie, et pensa très sérieusement à faire de sa découverte un moyen de fortune. Une bonne partie de la jeunesse fut ainsi perdue pour sa vocation. En outre il voyageait constamment, menait avec son père l’existence la plus errante[1]; changeant de lieux et de professeur à chaque instant, il ne pouvait, au meilleur de la vie et des études, que mordre en passant à la science. Il est vrai que plus tard, chez l’abbé Vogler, il regagna, bien qu’imparfaitement, le temps perdu. Jamais néanmoins, malgré tous ses efforts, il ne devint un formaliste à citer à côté d’un Haydn, d’un Mozart, d’un Beethoven ou d’un Mendelssohn. Les ouvertures portent la trace de ce manque d’esprit de conséquence, et pourtant ces ouvertures sont des chefs-d’œuvre; mais leur immense intérêt est autre part que dans la beauté de la forme : elles vous entraînent, vous passionnent. Toutes ces mélodies vous racontent la pièce, et de quelle façon! avec quel charme saisissant, quelle couleur! Au reste, rien de préconçu, d’organique et qui sente le développement magistral d’un de ces thèmes d’où procède l’unité d’un morceau. Au point de vue purement technique, à ne les considérer que comme des compositions instrumentales, ces éblouissantes symphonies le cèdent, et de beaucoup, aux ouvertures de la Flûte enchantée, d’Egmont, de Léonore et de Coriolan, où le style du maître et la beauté de la forme se montrent sous un bien autre aspect. Pourtant que de variétés, d’émotions dans ces tableaux ! Des phrases cousues à la suite, des mélodies hétérogènes ramassées dans la partition, un kaléidoscope, un pot-pourri, c’est vrai, et cependant ces ouvertures et en particulier celle d’Oberon, chaque fois qu’on les exécute, vous arrachent des larmes de

  1. Voyez les mémoires de Charles-Marie de Weber publiés par son fils, 2 volumes.