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intérieur de la conscience nationale doit être la comparaison des nécessités qui nous sont manifestement imposées et des causes qui ont déterminé et révélé ces nécessités. Cet examen serait trop borné et demeurerait inefficace, s’il n’allait point au-delà des faits immédiats et présens. Il est un point pratique où vient aboutir ce qu’on pourrait appeler la résultante des conditions intérieures et extérieures où la France est en ce moment placée. Ce point est la nécessité sentie par tous les patriotes vigilans et proclamée par le gouvernement de procéder à une prompte réorganisation des institutions militaires de la France. En découvrant qu’il était urgent d’asseoir l’armée française sur des bases plus larges et plus fortes, nous avons reconnu qu’un grand et subit changement s’est accompli dans la position occupée par la France envers la mutualité européenne. Le problème de la réorganisation militaire n’est point une de ces questions simples que le courant ordinaire des affaires apporte au pouvoir et aux assemblées, et qui se résolvent pour ainsi dire toutes seules par les considérations et les procédés purement techniques. Les plus vivans intérêts, les plus sérieuses pensées, les plus énergiques sentimens de la nation sont ici mis en jeu. Il faut donner à la France toute la force militaire dont elle est capable, et cela ne se peut faire qu’au moyen d’un énergique réveil d’esprit public et d’un effort vigoureux du pays sur lui-même. La question la plus pressante et la plus positive de l’heure actuelle ne peut donc être résolue sans un examen préalable approfondi de la situation intérieure et extérieure de la France.

Tel doit être l’ordre logique des choses, et l’instinct public le comprend bien ainsi. Si le projet sorti de l’élaboration de la haute commission militaire a été accueilli par l’opinion avec une sorte de mauvaise humeur, c’est non-seulement à cause de la maladresse de quelques-unes des combinaisons proposées, mais c’est aussi surtout parce que les motifs politiques, la raison d’état de la réforme militaire, n’ont point été exposés au pays avec l’étendue et la profondeur nécessaires. La réforme de l’armée ne peut être que la conclusion d’un débat politique. Qu’on en juge par l’exemple même du peuple dont les institutions militaires nous ont inspiré les appréhensions contre lesquelles nous cherchons à nous affermir par un système de précautions nouvelles. Ce n’est point en temps de paix, à une époque de sécurité et de prospérité, dans la calme recherche d’une perfection théorique, à loisir, par choix, que les Prussiens ont établi l’organisation militaire dont nous voyons et comprenons aujourd’hui l’efficacité. Ils étaient sous le coup de la plus extrême infortune nationale ; ils venaient d’être écrasés par un vainqueur impitoyable ; ce vainqueur voulant les éliminer de la famille des grandes nations, venait de leur interdire d’entretenir une armée active supérieure à 40 000 hommes. Des malheurs poignans, la réaction du sentiment patriotique contre une injuste et aveugle oppression étrangère, la volonté absolue d’être un peuple, firent accepter aux