Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 67.djvu/272

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

heureux d’apporter leur tribut à la patrie commune et de l’agrandir à leurs dépens. Les Crétois, qui versent leur sang pour avoir le droit de se donner à Athènes, savent aussi qu’ils n’y gagneront rien, sauf le nom d’hommes libres; au lieu d’obéir aux Turcs, qu’ils exploitent et dépossèdent, ils obéiront à une capitale lointaine qui exigera beaucoup pour rendre peu. Il faut cette abnégation, cet aveuglement volontaire, qui est le vrai patriotisme, pour reconstituer un peuple.

Pour asseoir leur gouvernement intérieur, les Grecs ont une base large et sûre qui est l’égalité. Cette égalité, que d’autres peuples achètent par des révolutions sanglantes, la Grèce la possède complète, à l’état idéal, et elle la doit aux Turcs. Quatre siècles d’oppression sont un terrible niveau : tous étaient devenus pauvres, tous étaient devenus petits, tous, quand le mouvement libéral de 1789 et de 1815 s’est propagé en Orient, partaient d’aussi bas. Les plus intelligens se sont instruits, les plus rusés se sont enrichis, mais il n’y a ni aristocratie ni classes vouées au travail et au mépris; il n’y a ni barrières ni préjugés, il n’y a ni misère ni privilèges; le pacte social y est équitable, l’esprit d’association repose sur une sincère fraternité. C’est pourquoi la liberté, dès qu’elle a été proclamée, n’a pas été un vain mot. On en a joui avec une plénitude qui a excité le blâme des cabinets de l’Europe, mais qui devrait exciter notre envie, car cette expérience nous apprend que le pays le plus débile traverse impunément les crises et les dangers tant qu’il s’attache uniquement à sa liberté.

Ce qui nous blesse surtout en Grèce, ce sont des finances réduites à une banqueroute perpétuelle, c’est l’habitude du brigandage compliquée d’une férocité qui excite justement l’horreur. Ce reste de barbarie, héritage des Turcs, disparaîtra devant une police sérieuse: il suffit de convertir en gendarmerie deux régimens composés des meilleurs soldats. Les finances au contraire ne se rétabliront que lorsque l’étendue du territoire sera proportionnée aux dettes. La dette de la Grèce est de 450 millions; l’intérêt à 5 pour 100 est donc de 18 millions. Or, le budget des recettes étant de 23 millions, le service de la dette exigerait les cinq sixièmes du revenu annuel. Quel est le pays qui pourrait faire honneur à ses engagemens dans de telles conditions? La dette deviendra légère et sera payée sans peine le jour où, la population étant quintuplée, les revenus croîtront par une progression plus rapide encore. De même le royaume italien aurait péri par les finances, s’il ne s’était subitement agrandi et n’avait pu répartir ses charges sur vingt-trois millions de sujets.

Le fisc et la police sont, dit-on, le dernier raffinement d’une so-