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une autorité irrésistible. Au lieu de flatter les Ottomans, il serait d’une politique prévoyante de leur dire la vérité, de ne plus leur imposer des réformes qui leur ôtent leur sève et leur originalité pour leur prêter nos vices et nos ridicules, d’écarter la fiction d’une intégrité que l’Europe détruit de ses propres mains depuis un demi-siècle.

L’histoire jugera plus sévèrement qu’on ne le pense l’attitude du gouvernement anglais, du gouvernement autrichien et parfois du gouvernement français vis-à-vis de la Turquie. Par intérêt, ils se sont constitués les défenseurs, les médecins, les complaisans d’une race de fanatiques et de barbares; ils se sont appliqués à maintenir dans sa servitude des races qui lui sont supérieures, qu’ils auraient dû délivrer au prix de leur sang. Ils redoutent toute révolte des chrétiens, ils restent sourds à leurs plaintes, ils ont soin de parler d’eux avec mépris, de garder pour les musulmans tous leurs éloges, et, quand l’opinion publique les contraint à combattre les oppresseurs, ils replacent aussitôt les opprimés sous le joug après avoir stipulé des garanties dérisoires. La crainte et l’égoïsme sont le secret d’une telle conduite : nous en sommes punis par la décadence précipitée de la Turquie, par les progrès de la Russie, par ce chaos que nous n’osons plus contempler, que nous avons préparé, et que nous appelons la question d’Orient.

Revenons donc à une politique généreuse, que la France a fait triompher plus d’une fois, qu’elle délaisse aujourd’hui, et dont l’Europe abandonne follement l’honneur à la Russie. Les races chrétiennes sont seules vivaces en Orient : c’est à elles que l’avenir appartient; l’unité grecque est marquée par la destinée aussi clairement que l’unité italienne et l’unité allemande. Soyons les protecteurs déclarés d’aspirations aussi légitimes, afin d’avoir le droit d’en être les modérateurs.


BEULÉ, de l’Institut.